La lignée des EUZET de Martinique (suite 4).



"Mercredi 23 juin 2010 (...) Cette impression qui ne me quitte pas d'être à la fois en France et pas en France. Ça n'a rien à voir avec le climat, les palmiers, la négritude ; c'est plus subtil, insinuant, impalpable. En France : tous les repères de la vie en métropole, les bâtiments officiels, la signalisation, les voitures, la publicité, les centres commerciaux, la langue du certificat d'études pratiquée avec une élégance rare, un patriotisme de vieille province. Pas en France : le créole, la misère, l'indolence et les accès de ressentiment et de colère, la manière dont certains affirment si fort qu'ils sont français comme pour mieux s'en persuader en face des autres qui gardent le silence, la culture enracinée dans la mémoire de l'esclavage et du racisme, l'angoisse du métropolitain à l'idée qu'il pourrait faire des gaffes." (Frédéric MITTERAND : La Récréation, pp. 280-282, chez Robert Laffon, collection Pocket, janvier 2015)



Marie-Andrée BLAMEBLE
Louis-Félix OZIER-LAFONTAINE
Joseph ZOBEL
José LE MOIGNE
Jean-Pierre OCTAVIUS


Le sud de la Martinique et la littérature ...



Marie-Andrée BLAMEBLE

"C'est dans le sud de la Martinique, à Rivière-Pilote, que j'ai vu le jour dans le milieu des années trente, raconte ma mère. Je suis la cinquième enfant d'une famille qui en comptera dix équitablement répartis en cinq filles et cinq garçons. De mon temps, les familles nombreuses n'étaient pas rares et cela s'explique par le fait qu'il n'y avait pas les moyens de contraception actuels et, aussi parce qu'un enfant était considéré comme un membre actif de la famille, une paire de bras supplémentaire pour aider à la tâche." Marie-Andrée BLAMEBLE, p. 9 de La Martinique de mes parents - Souvenirs d'enfance (collection "Graveurs de mémoire", chez l'Harmattan, 2004).



La couverture du livre de Marie-Andrée BLAMEBLE
La Martinique de mes parents (Souvenirs d'enfance)

C'est par ce livre de souvenirs que nous commençons cette page sur la littérature martiniquaise, en donnant la première place aux écrivains issus (eux-mêmes ou leurs familles) de Rivière-Pilote ou de la région proche, sans nous occuper de la notoriété respective de chacun. Une autre façon d'illustrer ce dossier, pour faire comprendre comment vivaient celles et ceux qui sont issus de ce milieu et de cette région.

Nous avons aimé ce livre plein de charme où l'auteur(e) rappelle simplement les souvenirs de la vie de ses parents. La 4ème de couverture résume bien ce qu'elle a voulu faire : "J'aimais lorsque mon père ou ma mère me racontait le temps d'avant, lorsqu'ils étaient petits. Nés tous les deux dans les années trente, ils ont grandi à la Martinique et ont eu une enfance très différente de la mienne avec des conditions de vie tout autres. A notre époque, me disaient-ils, nous n'avions pas tout le confort matériel dont tu as la chance de profiter ! Alors, curieuse, je leur posais souvent la question : "Comment faisiez-vous avant ?". Ainsi, à partir de cette simple question souvent réitérée, j'ai beaucoup appris sur les façons de faire et les pratiques d'avant. C'est à partir de ces récits qu'est né cet ouvrage qui rassemble leur vécu et leurs souvenirs qui lèvent un pan du voile sur une époque révolue."



Louis-Félix OZIER-LAFONTAINE

C'est par un autre auteur né en 1945 à Rivière-Pilote que nous continuons : Louis-Félix OZIER-LAFONTAINES. Socio-anthropologue, il se consacre depuis de nombreuses années à l'action sociale, l'étude de l'évolution des sociétés antillaises et à la recherche sur le fonds culturel martiniquais (présentation de l'auteur sur la 4ème de couverture de son livre : Dans la fourche des deux rivières, chez Ibis Rouge Editions, Matouri, 2006).



La couverture du livre de Louis-Félix OZIER-LAFONTAINE
Dans la fourche des deux rivières

"Ce récit sillonne ici les berges verdoyantes de deux rivières qui s'en vont vers la mer des Caraïbes, sur la côte sud de la Martinique. Au centre, entre les furies de leurs inondations saisonnières et l'ordinaire de leur humide présence, un bourg s'est incrusté, quelques centaines d'années auparavant. Ce bourg se nourrit goulûment de l'histoire réelle, mais aussi de mythes, de croyances et de rites d'une vie quotidienne tissée dans les vicissitudes d'une société de plantation toujours en survivance. Dans une société à univers multiples, comme l'est celle de la Martinique, les mythes, les rites et les irrationalités collectives forgés au cours du passé habitent toujours avec une intensité parfois surprenante, les pensées et les pratiques d'un grand nombre d'acteurs du présent.
C'est à ce détour que convie ce récit."
(présentation du livre sur la 4ème de couverture).

Si nous avons eu d'abord quelques difficultés à "entrer" dans ce livre, c'est qu'il est nimbé par un halo de poésie, cependant que le fil rouge est, comme pour le livre précédent, la description de la vie à Rivière-Pilote et dans ses environs immédiats. Par le détour des mentalités enfantines ou par la pensée de certains adultes très typés, nous voyons se dérouler une vie souvent difficile, environnée de mythes et de pratiques magiques pour conjurer les sorts. Mais, il faut bien le dire, l'étude préalable de l'histoire de la commune nous a facilité la tâche. Avoir quelques connaissances, par exemple, sur l'insurrection de 1870, a été bien utile. Finalement, nous avons ouvert ce livre un peu au hasard, nous sommes souvent revenus en arrière et puis, au bout du bout, nous l'avons repris et lu du début à la fin, sensible à l'atmosphère créole qui se dégage de ces pages. Des tropiques qui nous parlent, éloignés et proches à la fois.



Joseph ZOBEL










Evidemment, quand on évoque Joseph ZOBEL, on pense tout de suite à "La rue Cases-Nègres", son roman le plus connu qui a été porté à l'écran, ou encore à "Diab'la", roman écrit en 1942 mais qui ne put paraître qu'en 1945 parce qu'il avait été interdit par Vichy. Dans ces deux oeuvres passionnantes, c'est, en quelque sorte, la montée en puissance d'une forte personnalité qui se joue, peu-à-peu de tous les obstacles, dans une société où la vie martiniquaise est minutieusement décrite, un environnement que l'on pense complètement disparu de nos jours. Cette société des "petits" et des humbles qui est décrite de l'intérieur et, particulièrement, celle des noirs qui travaillent dans les champs de cannes à sucre, une société qui hiérarchise le béké, le mulâtre et le noir. Mais, finalement, si nous devions faire un choix, nous préfèrerions encore les nouvelles, par exemple celles qui se trouvent dans le recueil intitulé "Mas Badara", parce que c'est d'abord là que ce grand romancier se révèle comme un merveilleux conteur. C'est un art qui permet "d'entendre" parler les gens du peuple, tant du côté d'Anduze que de Dakar. C'est évidemment cet art du conteur qui a fait le succès de "La rue Cases-Nègres" car, ce qu'il décrit, c'est la Martinique vue par les yeux d'un enfant puis d'un adolescent et d'un jeune adulte. Sous sa plume, c'est toute la société de l'île qui nous apparaît dans ses joies et dans ses peines. Une grande oeuvre qui place Joseph ZOBEL au niveau des meilleurs. (pour plus d'informations sur ses autres livres, voir la rubrique "Litterature de la Martinique" dans La Martinique (suite 1)


José LE MOIGNE



Ce livre qui est un hommage à l'écrivain Joseph ZOBEL (originaire de Rivière-Salée) est aussi, pour nous, un moyen idéal de relier le pays des garrigues, dans l'hexagone, et le sud de la Martinique. C'est pourquoi, nous allons en reprendre quelques extraits qui nous paraissent faire le pont entre ces deux mondes et qui mettent en lumière, à la fois, Joseph ZOBEL et José LE MOIGNE. Nous avons rencontré ce dernier au salon du livre 2009, à Paris, et il nous a donné l'autorisation de mettre, ici, quelques extraits. Pour marquer encore plus la force et la poésie qui se dégage de ce livre, nous ne pouvions que commencer par le tout début : l'introduction écrite en décembre 2007 par l'écrivain mondialement connu, Raphaël CONFIANT (le livre lui-même est paru en février 2008).

"La trajectoire individuelle de Joseph ZOBEL a quelque chose de surprenant. Parti, en effet, des champs de canne à sucre de Petit Bourg (commune de Rivière-Salée) dans les années 30 du siècle qui vient de s'achever, il gagna, à l'instar du héros de son célèbre roman La Rue Cases Nègres, le petit José Hassam, la capitale de la Martinique, Fort-de-France, pour y faire ses études secondaires. Ensuite, il émigra dans celle de la métropole à une époque où, dans les îles, régnait encore le régime colonial, à bord du non moins célèbre paquebot Colombie dont le nom résonne encore dans nos mémoires. Puis, il rallia le continent d'origine de la majorité des Martiniquais, la terre-mère, l'Afrique, plus précisément le Sénégal où il devint conseiller du président Léopold Sédar Senghor et homme de radio. Final de compte, il regagna ce qui n'aurait plus dû s'appeler la métropole puisqu'une loi en date de 1946, dont le rapporteur à l'Assemblée nationale française fut Aimé Césaire, chantre majeur de la Négritude, avait transformé les quatre "vieilles" colonies qu'étaient la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et la Réunion en "départements français d'Outre-Mer".
On aurait pu penser que l'Ulysse noir, bouclant en quelque sorte la boucle, aurait rejoint définitivement son Ithaque-Martinique. Il n'en fut rien. En effet, après un nouveau séjour à Paris, Joseph Zobel se trouva un havre au coeur de la France profonde, dans les Cévennes, et devint citoyen d'honneur du petit village d'Anduze où il acheta un oustaou (ferme dans le langage du coin, apparenté à l'occitan). Là, au mitan d'un paysage de collines rondes et de rivières babillardes qui lui rappelaient son île natale, il délaissa l'écriture, lui qui avait publié des chefs d'oeuvres comme Les Jours immobiles, Laghia-de-la-mort ou encore Diab'-la, pour les arts dits manuels : le dessin, la poterie, la sculpture, et plus surprenant l'Ikébana (art floral japonais). C'est sa nouvelle vie à Anduze que nous donne à voir et à sentir le beau livre de celui qui allait devenir son fils spirituel, celui qui se surnomme lui-même le Breton noir, José Le Moigne. (...)"
Raphaël CONFIANT qui a intitulé cette introduction : Deux mots quatre paroles à propos du "nègre totémique"

"Vendredi 5 mai 2006. J'écris de Lodève, auprès d'une rivière de montagne qui, par son roulis continuel, finit par me scier la tête. Nous habitons, chez notre ami Michel, dans une usine séculaire inscrite au cartulaire de 1729. Plus haut, à Soubès, Marie, flanquée de son fils Émilien, fabrique des confitures. Elle est experte pour marier les fruits de la région avec des épices plus ou moins exotiques. Ainsi, outre sa confiture de figues pour moi inégalable, je vous conseillerai, si tel est votre bon plaisir, sa confiture d'oranges amères au poivre vert. Un délice dont les non initiés devraient très vite s'emparer." (p. 21) Nous avons repris cet extrait et celui qui suit parce que cette vie simple nous fait penser à certaines descriptions d'Henri MILLER dans ses balades en France et, peut-être plus encore, à ces impressions sur le pays, dans les lettres de Lawrence DURREL à Henri MILLER, quand le premier vivait, lui-aussi, dans un mas du Gard (voir quelques extraits de ces échanges épistolaires dans : "Villages et mas du Gard").

"Lorsque je monte à son oustaou - une très ancienne magnanerie forgée au fil des ans à son image - il prépare le ti-punch tandis que le court-bouillon poisson fume dans un canari. Joseph, tout médaillé de la Légion d'Honneur qu'il soit, fulminerait si j'osais prononcer le mot marmite ou casserole." (p. 23).

"Comprenez-moi. Ce que je trace ici ; ce n'est pas un récit ; encore moins un roman ; et surtout pas un reportage. C'est dans un ordre quelquefois bousculé, une suite de moments sensibles et les interactions qui vont avec." (p. 120). En fait, si les Cévennes sont bien là, la Bretagne et la Martinique y sont tout autant ou encore le Nord. Peu importe les descriptions et les lieux, ce sont les relations entre les êtres qui comptent pour l'auteur, avec un point de gravité : Joseph ZOBEL. Le parfait mélange des lieux et des sentiments, c'est sûrement dans l'extrait qui suit que nous l'avons trouvé.

"Excellentes les saucisses. vraiment. Feinte ou non, Joseph semble avoir retrouvé sa gaîté. Sa nostalgie aussi. Chez lui, l'une est toujours voisine de l'autre. Il me parle du pays, il me parle des Cévennes, les anecdotes se mêlent et je comprends qu'il refuse de choisir entre ses deux pays. Là aussi, pour moi, la filiation est évidente. Jamais je ne pourrai choisir entre la Martinique et la Bretagne. Lui, comme moi, appartenons aux générations Colombie. Celles d'avant l'avion. Celles où il fallait s'enraciner pour survivre. Man Anna en est morte. Lannig aussi. Pas moi. C'est aussi ça être créole. (p. 109)

"Dès les premières images Christine était à Petit-Bourg et partageait avec une surprenante acuité l'enfance du petit José Hassam. Mieux, pour elle le système pratiqué sur les habitations au tout début de l'autre siècle, ressemblait étonnamment à celui qu'imposaient les compagnies minières de France et de Belgique dans les mêmes années. A sa grande surprise, ce film dénonçant, en termes à peine voilés, la profonde injustice et la ségrégation régnant alors sous les tropiques, lui rappelait la vie de son grand-père mineur. Le travail si pénible qu'il vous cassait la vie, les petites joies communautaires, la solidarité ; mais aussi les amendes qui pleuvaient pour un oui ou un non, la paye de la semaine qui à peine perçue se fondait dans l'heure à boutique du patron, la bière pour oublier son sort. Vue sous cet angle, planteur ou bien patron, c'est du pareil au même. Enivrez-vous de rhum frelaté les coupeurs de cannes ! Buvez pintes sur pintes les ouvriers du fond ! Au bout du compte, l'argent retourne dans mes poches. On se verra demain pour de nouvelles dettes. C'est la règle du jeu, je vous possède à vie !" (p. 138)

"Mais aujourd'hui, comment ne pas s'apercevoir, alors qu'il se déplace pour se glisser entre nous deux, que son pas manque d'assurance et que la canne sur laquelle il s'appuie n'est plus un accessoire à manier avec la grâce et la désinvolture des Messieurs de Saint-Pierre, mais un appendice sans lequel il ne pourrait plus se mouvoir." (p. 153)

"Ici, dans son fief d'Anduze, Zobel est un seigneur ; le suzerain de la bourgade. Il faut l'avoir suivi dans les ruelles tortueuses, sur la place du marché, ou encore au syndicat d'initiative, où, privilège régalien, on lui tire les photocopies de ses dessins, ou l'avoir entendu interpeller le maire, pour connaître toute sa puissance. Peu importe sa couleur de peau, et je ne suis pas certain que cela ait à voir avec sa célébrité, ce petit homme noir ressemble, sous son feutre qu'il ne quitte jamais, à un prince huguenot des guerres de religion. Un cévenol sûr de son droit et de sa terre. Il va vers les hommes du cru qui lui donnent du Monsieur, me fait connaître d'eux, abolit ma défiance." (p. 24)

Nous avons préféré terminer par ce dernier extrait, même si l'auteur nous décrit l'affaiblissement progressif de Joseph ZOBEL, comme on le voit dans l'avant-dernier extrait. Nous avons préféré retenir le rayonnement exceptionnel de cet homme dans un milieu si différent de son île des tropiques. C'est aussi pour cela que nous avons mis l'extrait comparant les mineurs du Nord et les coupeurs de cannes. Les misères rassemblent et certains hommes ont en eux une force exceptionnelle qui leur permet de montrer un autre chemin, en innovant et dans l'honneur.


D'autres oeuvres de José LE MOIGNE :

- Poésies : Polyphonies (1965), Blessures d'ombre (1974), Visages clés (1976), Portuaires ..., Chambelland Le Pont de l'épée (1980), Des villes par-dessus les saisons, La Bartavelle (1993), Offrande du matin, L'impatiente (1997), Je me rêve en animal, L'arbre (1996), Dans mon pays (2004).
- Romans : Chemin de la mangrove (1999), Madiana (2001), Tiré chenn-la an tèt an mwen ou l'esclavage raconté à la radio (2004), Une ritournelle, Le Manuscrit (2007).



Jean-Pierre "OCTAVIUS"

"La vierge et le bandit est un roman dont l'action se déroule en Martinique en 1943 ; une époque durant laquelle les travailleurs de la canne étaient soumis à la domination outrancière des grands propriétaires terriens et d'un pouvoir colonial omnipotent. René BEAUREGARD, économe d'habitation sucrière, homme intègre et ouvrier modèle, se retrouvera au coeur d'un drame sentimental sans précédent qui fera basculer sa vie. Roman sulfureux de l'amour et de la passion dévorante, La vierge et le bandit incarne aussi la révolte d'un homme assoiffé de justice dans un pays où les ressentiments des fils d'esclaves ont une valeur symbolique forte et jouent comme un détonateur ... L'affrontement des antagonismes séculaires va transformer René notre héros, en un véritable Robin des Bois des temps modernes. La mort, l'amour, les privilèges raciaux, la sorcellerie, la quête identitaire, ne sont-ils pas les principaux ingrédients de ce livre qui dépeint une société antillaise d'alors, où les moeurs empreintes de mysticisme ont été mises à nu par une plume d'une étonnante beauté ?..." (texte de présentation du livre, en 4ème de couverture). L'affaire BEAUREGARD a passionné la Martinique pendant sept années, entre 1942 et 1949. Voir, par exemple, ce qu'en dit Armand NICOLAS dans le tome III de son Histoire de la Martinique (p. 153). Elle est, selon lui, "reflet d'une société dominée par l'injustice". Pour se venger des injustices, l'homme avait tué plusieurs personnes et avait "pris le maquis". Condamné par contumace, "il suscita une vive sympathie dans la population qui le considéra comme une victime des usiniers ce qui lui permit longtemps d'échapper à ses poursuivants". Le 30 septembre 1949, il fut reconnu à Poirier (à Rivière-Pilote), dénoncé, il préféra se donner la mort plutôt que d'être pris par les gendarmes. Armand NICOLAS ajoute : "Devant son cadavre transporté au dispensaire de Rivière-Pilote, une foule nombreuse défila pour voir l'homme qui avait défié Békés, gendarmes et juges".



La couverture du livre de Jean-Pierre OCTAVIUS
La vierge et le bandit

Le résumé ci-dessus ne nous parle pas vraiment de ce qui est, pour nous, essentiel dans ce livre : le style ! Une merveille de poésie qui enchante et donne au récit une tonalité toute particulière. Il suffit d'une seule phrase et nous sommes transportés dans la Martinique des années quarante, par le seul effet des mots. Et puis, comment ne pas être intéressé par les nombreuses évocations de Rivière-Pilote, sujet qui est au centre de ce dossier ? En voici quelques extraits :

(p. 9) "L'habitation La Mauny rieuse et avenante dans la torpeur du jour, déployait sous le visage émacié du Morne Escarpe, sa longue traine de mariée embaumée de volutes de tafia anisé. Elle campait au coeur du quartier tranquille de Concorde. Sa robe blanche de fleuris-noël drapait de son étoupe duveteux l'alignement somptueux des plantations vert-sombre. Sous l'effet d'un doux alizé de novembre, ces dernières lui faisaient révérence."

(p. 43) "L'enveloppe végétale qui masquait mal la torpeur endolorie de Ravine Braie était propice à tous les excès ... L'air, quoique rafraîchi constamment par la ceinture de rivières qui descendait de Marc Capron, semblait attiser les cancans, raviver les mesquineries des fausses vierges d'églises. Un long ruban de commérages enjolivait l'âme de ce coin perdu où fleurissaient des bouillons de rancoeur. On y rigolait de vive voix. Certes. La gentillesse naturelle des habitants était comme un levain de solidarité où régnaient la camaraderie apparente, le coup de main, la joyeuseté d'une franche rigolade. Mais le rire gras des gens cachait mal la misère et une incertitude de la vie qui se noyaient tous les matins dans l'eau de café du devant-jour."

(p. 46) "La terre grasse de Ravine Braie, encroûtée dans les talons-dames des gens, ressemblait de plus en plus à une sorte de léchofi, une mycose plantaire ... Empêtrée dans ses contradictions, cette société rurale vivotait au rythme des saisons, trimbalée dans une seule course-courir, un seul combat les uns contre les autres, une seule canaillerie, cherchant sa vérité dans une quête essoufflée de la vie."

(p. 48) "Chaque jour levé aux aurores, le bouquet de carillons de l'angélus le surprenait sur les verts pâturages de Saint-Vincent, où il allait attacher sa génisse. Il se mettait à genoux dans l'herbe drue pour prier un moment. C'était un plaisir pour lui d'écouter les babillages frivoles des pipiris matinaux se mêler aux cloches de l'église du bourg."

Du style, de la poésie, bien sûr, mais aussi l'évocation précise des hommes et des femmes de ce temps, Georges BELLONIE, Léona GABRIEL, Horace BEUZE, l'amiral ROBERT, DUCANET, et bien d'autres encore, connus ou oubliés, avec leur façon de parler, de penser et d'agir, avec les moeurs et les coutumes de l'époque, pendant la guerre et juste après.

(p. 186) "C'était la veillée mortuaire de Maurice GROS DESORMEAUX à Saint-Vincent. Il devait être aux alentours de 11 heures du soir. Tous les grands majolés (conteurs) de la localité s'étaient déplacés pour bailler la voix et reconduire le défunt à sa dernière demeure, dans la joie et la gaieté selon les règles de la tradition. Parmi les bruits et éclats de voix qui cassaient le silence de la nuit, on entendait le clic-clic des bouteilles de tafia qui s'entrechoquaient."

Finalement, le "héros" central de ce livre, n'est-ce pas la ville de Rivière-Pilote, ses quartiers et ses habitants ?

(p. 207) " - Oui, Rivière-Pilote est une commune qui bouge. Elle est très dynamique. Le samedi et le dimanche ... Il faut voir ... Du monde ... Du monde sur la place du marché. Tu trouves ... toutes sortes de légumes : tomates, carottes, navets, céleri, persil, gombos, aubergines, salades laitue, pois d'Angole, farine-manioc, moussache ... bref, toutes sortes de choses ... s'exclama Orkes MIRANDE.
- Bien sûr, c'est vrai ce qu'il dit. Rivière-Pilote constitue un peu le grenier du sud. C'est elle qui pourvoit pratiquement le sud de l'île en légumes. L'agriculture y est forte et prépondérante. En plus, c'est une commune très peuplée. Elle doit avoir aux alentours de 12 000 à 13 000 habitants. Figures-toi, qu'après la catastrophe de 1902 à Saint Pierre, plus de 3000 personnes sont venues grossir la population pilotine.
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