La lignée des EUZET de Martinique (suite 5).





La Martinique, la musique et la danse





La couverture du livre de Jacqueline ROSEMAIN
(paru en septembre 1990)

"L'Eglise et les gouvernements coloniaux tout au long des siècles ont combattu les danses des esclaves en les qualifiant de licencieuses et leurs rythmes de sauvages. Nous découvrons ici les origines de ces rythmes et de ces danses appelées calendas, ainsi que leur long cheminement, car elles sont non seulement africaines mais aussi catholiques. Elles honorent les mêmes dieux : Bacchus, Vaudou et le Christ. En effet, les calendas ont été dansées en Grèce, à Rome et dans l'Eglise chrétienne. Prêtres et religieuses en France les dansaient dans les églises, les cloîtres et les cimetières jusqu'au XVIIe siècle ; en Espagne et dans les colonies espagnoles jusqu'au XVIIIe. Les îles n'ont été qu'un lieu de rencontre. Leurs similarités (gestuelle sexuelle et rythmes "pernicieux") favorisèrent leur fusions. Ces danses, parce qu'elles étaient dansées par les colons, perdurèrent jusqu'au début de ce siècle sous le nom de biguine, tango, rumba, etc. Aujourd'hui nous les retrouvons sous ceux de son et de zouk." (4ème de couverture lu livre de Jacqueline ROSEMAIN)

1/ Le BÈLÈ


"Le Quinto ou Belair - Nous n'avons cité que deux noms pour désigner ce rythme. En fait, il en porte plusieurs. Bamboula est le nom général que lui donnèrent les colons dans toutes les colonies françaises, y compris d'Amérique. Les paysans de la Martinique et de la Guadeloupe l'appellent belair, ceux de Cuba : tango africano ou quinto. C'est le seul rythme à être présent chez tous les esclaves noirs, quels que soient le colonisateur (anglais, espagnol ou français) et la religion. De la Caraïbe au Pérou, il s'écrit de la même façon (...). Certains musicologues anglais et américains le désignent du nom de beguine, les Brésiliens l'appellent lundu. C'est le rythme des danses de la Fertilité. Après les interdictions des calendas, il semblerait qu'il ait remplacé le calenda de la Fécondité de la Vie : d'où les confusions faites par les chroniqueurs. Il est vrai qu'ils ont des significations cultuelles et une gestuelle proches, qu'ils sont tous deux à deux temps, et qu'ils se composent tous deux de cinq frappés répartis en deux cellules rythmiques : l'une ternaire, l'autre binaire. Mais là s'arrêtent les similitudes. Les différences sont aussi essentielles pour les oreilles averties ou attentives : le calenda est à 6/8, le bamboula est à 2/4. Il est souvent présent dans les spirituals baptistes et méthodistes des Noirs d'Amérique : (...) Accepté par ces Eglises, il apparaît dans les chants et danses profanes. A Cuba, sa cellule fondamentale donne naissance au boléro (...) ; remarquons que la croche s'est simplement convertie en une double croche et un quart de soupir. De quel rythme populaire européen se rapprocherait-il ? Pourquoi les colons en font-ils un des quatre rythmes fondamentaux (...) de leurs danses ? Nous voyons dans l'adoption de ce rythme non pas le fait du hasard, mais un choix dicté par sa similitude avec un de leurs rythmes, lui aussi lié à la fertilité, mais sans scansion (...), qui accompagnait les danses des moissons encore aux XVIe et XVIIe siècles en Vendée et en Charente, deux régions d'où sont originaires une très grande majorité de colons français. Les danses dans lesquelles on retrouve l'alternance des temps ternaires et binaires s'appellent branles quand elles sont dansées en cercle fermé et courantes quand elles le sont sur deux rangs. Les colons, à leur arrivée, dansaient les deux et le père LABAT leur demandait de les apprendre à leurs esclaves afin de les empêcher de danser les calendas et pour qu'ils puissent sauter autant qu'ils en ont envie. (...)" (Extrait de La danse aux Antilles, par Jacqueline ROSEMAIN, p. 48 et s.)

"Fondement de la société martiniquaise, le bèlè est un art complet de la parole, du rythme, de la musique et de la danse. Folklorisée au cours du XXe siècle, rejetée par les élites, cette pratique populaire jouit d'un retour en grâce fulgurant. Depuis une dizaine d'années, événements et écoles se multiplient. De jeunes artistes s'en emparent, pour le faire évoluer. Au coeur de ce mouvement, Edmond MONDÉSIR et son fils Manuel témoignent." (résumé de l'article de François BENSIGNOR : Bèlè d'hier et d'aujourd'hui, dans la revue Hommes et Migrations, n° 1291, en 2011)

"En Martinique, l'art du bèlè relie les descendants des Africains à la culture ancestrale que les colons esclavagistes rêvaient d'éradiquer. Celle-ci est pourtant bien vivante à travers le tibwa qui lance la danse, le rythme des tambours juba ou bèlè, les phrases du tambour soliste coupe, les chants à répons, , les paroles évoquant dans une verve ironique les événements du quotidien ou les codes de la danse. Celle-ci a des allures délicates et policées lui venant du quadrille et du menuet. Pourtant, chauffée par les tambours, aiguillonnée par le tibwa, elle peut devenir extrêmement échevelée." (début de l'article de François BENSIGNOR)

"L'oralité possède une force de mémoire qu'aucun livre ne pourrait contenir. Après avoir enfoui le souvenir d'un passé par trop noir (dans tous les sens du terme), jusqu'à bannir son expression de la place publique, la société martiniquaise se réconcilie avec l'art du bèlè. Depuis l'avènement du nouveau millénaire, partout il refleurit en Martinique. Les jeunes générations se le réapproprient et s'en inspirent. Edmond MONDÉSIR en témoigne dans son court essai Le bèlè, fondement d'identité et d'unité culturelle (2010, inédit) : On est passé d'une pratique localisée à une pratique généralisée. Il ne s'agit pas seulement d'un ensemble de chants et danses mis en chorégraphie et en costumes, dans le cadre d'un spectacle à l'intention des touristes. Nous avons affaire à une activité culturelle, avec ses codes, ses règles et ses références, dédiée au plaisir esthétique et au plaisir de la rencontre. Il existe, pour la transmission méthodique, diverses écoles associatives où l'on étudie les danses, les chants, le tibwa et le tambour. Des 'swaré bèlè' sont organisées tout au long de l'année. Il existe également ce que l'on appelle désormais des 'moman bèlè' et l'on trouve un calendrier des swaré centrales, édité par la Coordination des associations et des personnalités du monde bèlè (Koordinasion lawonn-bèlè)." (suite de l'article de François BENSIGNOR)

"A l'occasion d'un entretien illustré par des démonstrations au tambour, Edmond MONDÉSIR offre une description détaillée des différents éléments composant le bèlè : Le bèlè se compose de différents rythmes, à 2 temps, à 3 temps ou à 4 temps. Le 'bèlè rapid', le 'bèlè douce' et le 'bèlè pityé' sont joués sur des rythmes à 2 ou 4 temps. Le 'grand bèlè', le 'bèlya' et le 'marim bèlè' sont des danses à 3 temps. Dans le bèlè, on danse courbé, les genoux fléchis, à la différence par exemple du 'danmié', qui est une danse de combat. Dans ses mouvements de lutte, le danseur de 'danmié' doit pouvoir rebondir, lancer les pieds et les bras. Il y a quelque chose de suspendu dans le rythme, avec des syncopes qui accompagnent les mouvements et des 'coups d'attente' qui permettent au danseur de se repositionner. La kalenda, autre rythme à 4 temps, est la seule danse en Martinique qui se danse seul" (suite de l'article de François BENSIGNOR)

"Les principales danses du noyau bèlè se dansent selon une structure carrée, comme le quadrille ou le 'grand bèlè' Dans la chorégraphie du quadrille, deux carrés s'entrecroisent de manière structurée. Mais à l'intérieur des deux carrés, les danseurs se livrent à des prouesses individuelles, par deux. Il faut donc intégrer le code gestuel et relationnel entre les danseurs dans ce déplacement. La grâce, les échanges dans la danse, les rencontres rythmiques suffisent à intéresser un spectateur qui découvre le quadrille. Les danses bèlè à 2 ou 4 temps se décomposent en 'bèlè courant', 'bèlè rapid', 'bèlè pityé' et 'bèlè douce'. Quant à celles à 3 temps, ce sont le 'grand bèlè', le 'bèliya' et le 'marim bèlè'." (suite de l'article de François BENSIGNOR)

"De plus, on a intégré dans la swaré bèlè des danses faisant partie de jeux au clair de lune, qui n'étaient pas toujours accompagnées de tambours. Ce sont des danses en rond, en ligne, qui impliquent des jeux entre les danseurs. Par exemple, le 'venezuel', le "kanigwé', le 'woulé mango' ou le 'timbank', dansé en rond. Toutes ces danses vont se succéder au cours d'une swaré. Il faut noter que les pratiques diffèrent entre le nord et le sud de l'île. Une même danse peut aussi avoir des exécutions différentes. Disons qu'il existe un noyau central de la danse bèlè et que l'on découvre progressivement les différentes pratiques avec l'expérience." (suite de l'article de François BENSIGNOR)

Le tambour bèlè - "A l'origine, il y aurait eu des tentatives de faire des tambours directement à partir de troncs, 'bwa fouillé', mais ça ne s'est pas développé. Ce sont les tonneliers qui ont fabriqué les tambours. La maîtrise de la tonnellerie était très importante à l'époque, notamment pour l'expédition des fûts de rhum. Certains tonneliers étaient experts en façonnage de tonneaux et, tout naturellement, ils ont commencé à fabriquer des tambours. C'était plus facile que de fouiller le bois, surtout sachant que les esclaves n'avaient pas d'outils." (suite de l'article de François BENSIGNOR)

"Le tambour bèlè est recouvert d'une peau de cabri ou de mouton. En effet, sa sonorité est proche de la terre, un peu sourde : donc pas de peau de boeuf (même si l'on m'a déjà offert un tambour en peau de mulet ...). Pour serrer le tambour, on utilisait ce qu'on avait sous la main : un cercle de fer sur lequel on adapte différents matériaux végétaux (paille de banane, cordes ...). Et on le serrait très fort. Mais sans intégrer le système de serrage au tambour lui-même, à l'inverse de ce qu'on trouve en Guadeloupe pour le tambour gwoka, par exemple, dont on peut régler la tension de la peau avec un jeu de cordes." (suite de l'article de François BENSIGNOR)

"Le tambour se joue couché, l'ouverture recouverte de peau étant légèrement relevée. La technique du joueur de tambour bèlè implique le mouvement de pied, de talon, pour modifier la sonorité. C'est une frappe frottée, frappée (et non pas verticale, directe, comme sur les tambours tenus verticalement). Le jeu principal est fait par la main droite. Et l'on se sert des première et deuxième phalanges des doigts pour frapper sur le bord du tambour. La dextérité du tambouyé fait qu'il y a plusieurs techniques de doigts, et des variantes dans le jeu. Il faut faire le pendant à la frappe principale de la main droite et ensuite l'adapter au rythme que l'on joue. " (suite de l'article de François BENSIGNOR)

"Il est intéressant de noter qu'en Martinique, beaucoup de musiciens jouaient le gwoka guadeloupéen avant le mouvement de reconnaissance de la tradition bèlè. Il faut saluer le militantisme de mon père et de son entourage, qui se sont battus pour valoriser les anciens, les met'bèlè (maître de bèlè), afin qu'ils communiquent et qu'il n'y ait pas de rupture entre les anciens et les nouveaux, affirme Manuel MONDÉSIR. Il y a cinq ans en Martinique, tout le monde dansait la salsa. Aujourd'hui, c'est le bèlè. Tous les projets mis en oeuvre autour du bèlè font qu'aujourd'hui, les Martiniquais sont fiers de leur musique.". L'article de François BENSIGNOR se poursuit autour des "Nouvelles voies pour le bèlè", expliquées par Edmond et Manuel MONDÉSIR. (Cet article a été mis en ligne, le 29.05.2013).

2/ La Haute-Taille

"Le quadrille est une danse d'importation du 17ème siècle d'origine européenne. Une danse de salon adoptée par les colons des milieux bourgeois, puis dans le milieu rural. Dans la caraïbe, le quadrille comprend à la fois des apports d'origine européenne et d'origine africaine. En Martinique, le François est reconnu comme le berceau de cette danse et de cette musique transmise de génération en génération. En Martinique, on parle de la Haute taille ou Taille haute. Un nom qui viendrait de la coupe des robes que les femmes portaient pour se rendre au bal mais aussi aux types des figures. Contrairement à la basse taille, la haute taille est faite de figures en hauteur, la basse taille, elle, utilise des figures où les danseurs frôlent le sol. La haute taille comprend quatre figures avec mazurka, une biguine et un quadrille." (Radio Caraïbe International, le 21.06.2017)


Danseurs de Haute-Taille, dans la nuit du 3 au 4 avril 2016, à Rivière-Pilote




























Le festival international de "Haute taille et des quadrilles du monde" se tient du 20 au 25 juin 2017, à l'Appaloosa, dans la commune du François, en Martinique. C'est la 7ème édition, avec pour thème : "Faire école pour valoriser l'Homme et son territoire".









haut de page

Martinique.

Martinique (suite 1)

Martinique (suite 2)

Martinique (suite 3)

Martinique (suite 4)

Nouveautés du mois

sommaire