La lignée des EUZET de Saint-Jean-de-Védas (34).
(La branche de Vohémar - suite 2)


"Lafimbato, vato ; lafinkao, hazo ; lafinkavana, havana" : "La pierre vient de la pierre, le bois vient du bois ; les hommes viennent de leur parenté" (proverbe malgache).



Histoire.




Cette seule image de 1897 montre les "poids"
respectifs du colonisateur et de l'indigène

(50 ans avant l'insurrection de 1947)



Histoire :

L'insurrection de 1947. Une analyse de Madame Pierrette CAMBIER-DEROULÈDE



1/ 1885-1946 : les racines lointaines de l'insurrection de 1947

La politique coloniale de la France se développe sous Jules FERRY qui veut faire de Madagascar un Protectorat tout en reconnaissant les souverains. Le Gouvernement Malgache refusant l'établissement effectif d'un protectorat français et l'installation d'une garnison française à Tananarive, le Ministère de la Guerre organisa une expédition militaire sous les ordres du Général DUCHESNE. RANAVALONA III, Reine des Hova, exerçait alors sa domination sur les autres populations de Madagascar. Le 5 décembre 1885, elle signait un traité avec le Gouvernement français qui la reconnaissait comme souveraine de l'île, elle acceptait l'installation d'un résident français LE MYRE de VILLERS. Consécutivement aux conflits permanents et aux attentats contre les Français, une expédition punitive fut organisée, ce fut la prise de Tananarive, le 30 septembre 1895. Le protectorat fut imposé à la reine RANAVALONA III par le traité du 1er octobre 1895. Madagascar et les îles qui en dépendent furent déclarées Colonies françaises. Cette annexion fut le signal d'un grand soulèvement et d'évènements graves.

Le 18 janvier 1896 le Résident LAROCHE imposait à la Reine un traité lui faisant renoncer à tout pouvoir.

Hippolyte LAROCHE fut, pendant quelques mois le résident général. Entré à Tananarive le 16.01.1896, il quitta la ville le 10.10.1896 pour s'embarquer à Tamatave, le gouvernement ayant mis fin à sa mission. Son passage fut vite oublié. Entre l'expédition militaire du général DUCHESNE et la prise en main du pouvoir par le général GALLIÉNI, il eut, cependant, le temps de promulguer la loi portant abolition de l'esclavage. Surtout, il a essayé de tenir l'équilibre entre la reine RANAVALONA III d'une part, les colons et les militaires d'autre part, mais il n'eut pas les moyens nécessaires pour faire face à l'insurrection qui se développa dès le mois de mars 1896. En effet, la scission complète entre le pouvoir civil et le pouvoir militaire fut fatale à cette politique, d'autant que le général VOYRON, successeur de DUCHESNE, se borna "à faire circuler de lourdes colonnes, devant lesquelles se dérobe l'adversaire, mais qui fusillent au hasard, brûlent des villages innocents et détruisent les rizières" (Flavien RANAIVO : Hommes et destins : Madagascar)

Hippolyte Laroche


Le Gouvernement français remplaça alors le résident civil par un résident militaire, le Général GALLIENI. La loi d'annexion fut promulguée le 20 juin 1896. Elle écartait les chefs et les indigènes qui excitèrent les populations. RANAVALONA III fut déposée le 6 août 1896 et déportée en Algérie en 1897.

Ranavalona III

"Née Princesse RAZAFINDRAKETY (Razafy) le 22 Novembre 1861 à Manjakazafy, village rural aux environs d'Antananarivo, elle était la nièce de la reine RANAVALONA II et l'arrière arrière petite fille du grand roi malgache ANDRIANAMPOINIMERINA. Bébé elle fut d'abord confiée par ses parents à une esclave (andevo) puis à la garde de sa tante, la reine, qui lui fit donner une bonne éducation chez les missionnaires protestants de la LMS (London Missionnary Society) puis dans différents pensionnats congrégationnistes. Elle fut mariée très jeune à un andriana (noble) du nom de RATRIMOARIVONY qui mourut quelques années plus tard (sans doute empoisonné) lui laissant une petite fille. A la mort de la reine, en juillet 1883, la jeune veuve de 22 ans fut proclamée à son tour sous le titre de RANAVALONA MANJAKA III, épousant le Premier Ministre RAINILAIARIVONY qui avait déjà été le mari des deux reines précédentes (RANAVALONA I et II) et qui gouverna de facto. Mais, en tant que souveraine de Madagascar, elle fut un pion dans la partie d'échecs que se livraient Anglais et Français pour la conquête de la grande île. Les incursions militaires françaises avaient déjà commencé sous le règne de RANAVALONA II en fait et le Premier Ministre fit appel au Lieutenant-Colonel britannique WILLOUGHBY qui avait déjà participé à la guerre contre les Zoulous pour s'occuper des affaires militaires et défendre l'île contre l'invasion française. Cette guerre franco-hova se prolongea jusqu'en Septembre 1895 où les Français, parvenus devant la capitale Antananarivo, bombardèrent la colline du Rova où se trouvait le palais de la reine contraignant celle-ci à capituler. C'était la fin de quatre siècles de monarchie merina. Le Premier Ministre fut exilé à Alger où il mourut l'année suivante. (...)" Voir la suite de cet extrait dans : Latitude Sud

Ranavalona III


Le pays était troublé et s'y ajoutaient les conflits incessants entre les différentes confessions religieuses, ( la Mission anglicane était alors puissante). Le mouvement insurrectionnel des Menalamba contribuait au désordre. La pacification était difficile. La répression fut énergique. Le Colonel LYAUTEY poursuivit dans le Sud la politique de GALLIENI qui cherchait à constituer des groupements par autant d'ethnies pour contrer la politique dominante des Hova. Par la Loi du 18 août, les Chambres votèrent à une large majorité l'annexion définitive. Le 27 septembre 1896, l'abolition de l'esclavage était proclamée par le résident LAROCHE en accord avec la Reine et le conseil de Gouvernement. Cette occupation étrangère n'était pas acceptée par les nationalistes, ce qui provoqua un grand soulèvement. La rébellion était latente et les mouvements rapidement réprimés. En 1908, Madagascar était pacifiée sous les ordres d'un Gouverneur Général civil. En 1941, les Malgaches développent un mouvement pour la restauration de la souveraineté nationale et dénoncent cette présence française. Ils créent des organisations clandestines et un vaste mouvement en faveur de l'indépendance.

Les autres protagonistes français de cette histoire compliquée et tragique

Lyautey

Galliéni

Le Myre de Villers

Duchesne

de Coppet

2/ 1943-1946 : les causes immédiates de l'insurrection

L'occupation était subie mais les Malgaches gardaient toujours un immense désir de liberté et de justice car les autorités françaises avaient établi des différences entre les « susceptibles » de devenir des citoyens français et les autres, cette discrimination ravivait ainsi en permanence leur souhait d'indépendance. Les sociétés nationalistes secrètes PA NA MA (Parti Nationaliste Malgache) créé en 1941 et J I N A fondé en 1943 par MONJA-JAONA plutôt influent en milieu rural, exerçaient leur activité dans l'île mais étaient minoritaires. L'Autorité française les connaissait et suivait les préparatifs de la rebellion sans intervenir ni empêcher son déclenchement. Cette révolte avait aussi une raison économique. L'Etat français s'était arrogé la possession définitive du territoire malgache. Les colons français et les gros industriels s'étaient attribués les richesses du pays : concessions agricoles, exploitations foncières et minières dépouillant ainsi le peuple de son patrimoine, l'humiliant et exploitant honteusement la main-d'oeuvre. La seconde guerre mondiale leur donnait un espoir de changement. Le Haut Commissaire de COPPET, les colons, les industriels et même les chefs militaires avaient d'abord opté pour le régime de Vichy, se ralliant ensuite à de GAULLE. Les Anglais et les Zoulous d'Afrique du Sud avaient débarqué à Madagascar et l'occcupèrent mais ils le rendirent à la France Libre. Le peuple malgache fut alors convié à présenter 2 députés à l'Assemblée Constituante de la IVème république. Le Dr Joseph RASETA et le Dr Joseph RAVOAHANGY se présentèrent sous l'étiquette « Restauration de l'Indépendance Malgache » ils furent élus. Le 1er février 1946, un parti est formé le M D R M (Mouvement Démocratique de la Rénovation Malgache) fondé officiellement à Paris le 11 février 1946, le Dr RASETA en est le Président Le 21 mars 1946, ils déposèrent au Bureau de l'Assemblée Constituante une proposition de résolution pour un référendum en vue de faire déterminer par le peuple malgache son statut ; cette démarche violemment repoussée restera sans suite. Par le décret du 26 octobre 1946, Marius MOUTET alors Ministre de la France d'Outre-Mer (sous la présidence de Vincent AURIOL) avait arbitrairement partagé l'île en 5 provinces avec une assemblée représentative siégeant à Tananarive et une assemblée provinciale au chef-lieu de chacune des provinces, ce qui était un coup direct à l'unité nationale des Malgaches. Jacques RABEMANANJARA, poète et écrivain, fut élu député de la région de Tamatave le 10 novembre 1946 mais il ne siégea jamais. Il fut arrêté le 12 avril 1947 pour participation à la rebellion qui venait d'ensanglanter Madagascar, puis condamné aux travaux forcés. Le M D R M s'amplifie et trouve un allié provisoire en le PA DES M (Parti des Déshérités de Madagascar) dirigé par RAMAMBASON qui s'est vite avéré une émanation de l'administration française et qui prêchera la haine raciale. La France jouait de l'antagonisme entre les ethnies côtières et les Merina des Hauts-Plateaux. De graves incidents éclatèrent sur l'île. Il faut noter aussi l'action de l'Union C G T qui soutenait les revendications salariales des ouvriers. Malgré les pressions de toutes sortes et les arrestations de ses militants, le M D R M remporta la majorité des sièges aux élections de l'Assemblée représentative, d'où la colère des colonialistes. Marius MOUTET modifia rapidement les conditions de ces élections, ce qui provoqua cette fois la colère du peuple malgache. Sous de COPPET de nombreux incidents se multipliaient, actes de répressions , de brutalités et d'arrestations vis-à-vis de la population. La situation devenait explosive. Ce sont les conditions dans lesquelles la date de l'insurrection générale fut fixée, le 29 mars 1947, quelques jours avant le 1er congrès du M D R M.


Ravoahangy, Raseta et Rabemananjara (de gauche à droite)
(cette photo est sur la couverture du livre de l'avocat Pierre Stibbe :
"Justice pour les Malgaches", au Seuil, en 1954 - droits réservés)


3/ 1947 : l'insurrection et ses conséquences

Le 1er foyer se déclara dans le district de Manakara et, en même temps, par l'attaque du camp militaire de Moramanga par 400 rebelles qui pensaient récupérer des armes, puis s'étendit dans toute l'île ; s'en suivit les embuscades en brousse, les incendies des plantations, le sabotage des artères vitales, les massacres de français. La répresssion de l'Etat fut violente, le M D R M fut dissous et ses responsables arrêtés et presque tous massacrés, ainsi que des intellectuels, des médecins, des enseignants et, bien entendu, des malgaches sans distinction particulière. Rien cependant ne changea, dans la volonté d'indépendance du peuple ( qui fut proclamée le 30 décembre 1975). On avance 60 000 à 80 000 le nombre de morts malgaches et celui de 150 européens mais les chiffres n'ont pas pu être réellement vérifiés. Tananarive ne bougea pas, l'insurrection fut manquée et échoua. Les côtiers en voulurent longtemps aux Merina. L'Assemblée Nationale demanda alors la levée de l'immunité parlementaire des députés, ce qui fut voté. RASETA, RAVOAHANGY et RABEMANANJARA furent arrêtés ; leur procès s'ouvrit à Tananarive le 22 juillet 1948 et se déroula au Palais d'Andafiavaratra.


Le palais du premier ministre
(Andafiavaratra)
où eut lieu le procès de 1948

Le verdict était rendu le 4 octobre de cette même année RASETA et RAVOAHANGY furent condamnés à mort, RABEMANANJARA condamné aux travaux forcés à perpétuité. Ils furent graciés en 1949 et transférés en exil en France puis amnistiés en 1956. Ils revinrent à Madagascar en 1960. D'autres responsables furent enfermés au bagne de Nosy-Lava.



Le palais de la reine
(Manjakamiadana)
avant l'incendie de 1972

Le palais dans son
environnement

Palais de la reine, salle du trône,
maison et portrait de la reine.



C'est la reine RANAVALONA I qui fit construire son palais (Manjakamiadana) en 1839 par Jean LABORDE. La reine RANAVALONA II le fit habiller extérieurement de pierre en 1868/73 par James CAMERON. Un incendie détruisit tout l'intérieur en 1972.



Madagascar aujourd'hui, vu par un romancier français : Frédéric MARINACCE


"Le A noir de Madagascar"

"Tananarive me plut d'emblée et cette première impression ne se démentit pas. Cette capitale à la campagne, où la lumière a cette qualité de transparence qu'on ne rencontre qu'en altitude dans les pays tropicaux, offrait, avec toutes ses collines, l'aspect d'une île rocheuse au milieu de la mer.
J'adorais les secrets des petites ruelles grimpantes où s'entremêlaient les maisons de brique à étages, les jardins de palmes, les cannas, les bougainvillées, la liane Aurore et quantité d'autres fleurs croissant à l'ombre des jacarandas ou des frangipaniers.

Tana ! Je me suis perdu dans tes escaliers et dans ton palais inattendu qui dominait la ville. La fantaisie était partout. Je me suis perdu dans l'ocre de tes maisons et le vert de tes feuillages. Je me suis perdu dans tes magasins de chapeaux "Chap'Chic". Je me suis perdu en croisant le regard des amoureux qui se faisaient la cour sur les rives du lac Anosy ou s'embrassaient sur les bancs de la roseraie près de la Poste. Je me suis perdu dans tes dernières rizières. Je me suis perdu dans ton merveilleux zoma, ce fameux marché du vendredi.
Il occupait toute l'avenue de l'Indépendance. Les vendeurs venus des environs étaient regroupés par affinité, selon les produits présentés. Les étals, à même le sol, offraient toutes sortes d'objets, de la vannerie, des nattes, des meubles bancals, des statues en bois sculpté, de la ferblanterie, de la poterie, des fripes, sous de grands parasols blancs délavés par le soleil qui formaient une voûte presque continue. Un bric à brac de ferrailles côtoyait l'espace des antiquités où les Européens venaient racheter les objets qui leur avaient été volés quelques semaines plus tôt ! Moi qui n'avais aucun goût pour le shopping, qui n'entrais jamais dans un magasin que poussé par la nécessité, je pris du temps à sillonner ce joyeux déballage, à me perdre dans cette fête colorée et bruyante.
Un peu plus haut, le marché aux légumes et aux fruits témoignait de la richesse de cette île, un véritable pays de cocagne, le garde-manger du monde. L'endroit aurait fait le bonheur de n'importe quelle ménagère. Dans d'immenses paniers, les petits pois étaient écossés, les haricots verts effilés et coupés en trois dans le sens de la longueur, les macédoines de légumes composées, les choux tranchés en lamelles, les girolles nettoyées. Les fruits exotiques cohabitaient avec ceux d'Europe : bananes, avocats, ananas contre pommes, poires, prunes et fraises des bois. De jeunes enfants portaient les soubiks que remplissaient des femmes blanches. Ils les accompagnaient ensuite à leur voiture contre un pourboire.
Plus haut encore, les pavillons couverts d'Analakely proposaient des articles presque luxueux. Tissus et vêtements, mais surtout des nappes brodées de motifs colorés naïfs ou floraux, des sacs et des ceintures en peau de crocodile, des pierres et des fossiles. Je me laissai tenter par une petite géode de cristaux bleus comme le ciel, la celestite si bien nommée, après avoir reçu un cours complet sur la minéralogie de Madagascar. Je traînais avec bonheur au coeur de la vie de la capitale."
Extrait des pages 87 à 89 du roman de Frédéric MARINACCE : "Le A noir de Madagascar", aux éditions Kailash (2005).


Le marché de Tananarive ...
et ses grands parasols

Madagascar (avant)-hier, vu par une directrice de théâtre française : Nancy VERNET

"A peine étais-je débarquée à Tamatave que je voulais tout voir, tout connaître : moeurs, goûts, habitudes des Malgaches, etc... Ce n'était pas ceux que nous avions comme serviteurs qui m'intéressaient à étudier, mais je rêvais d'être initiée à la vie intime des indigènes, à leurs coutumes, etc... Si j'avais pu me rendre invisible, je n'aurais pas hésité, désireuse de tout scruter. A Majunga, un jour, je sollicitai les deux amis qui voyageaient avec moi de nous promener dans l'intérieur du pays. Je les gagnai par ma foi et ayant appelé des bourjeanes ou porteurs de filanzanes, nous partîmes.

Nos nonchalants harozanas nous firent suivre longtemps le bord de la mer, et, bien que le mouvement du phitagon soit très doux, quand ils changeaient leurs brancards d'épaules, en passant par dessus leurs têtes je me croyais toujours précipitée à l'eau qui leur battait les jambes jusqu'aux genoux. Tout leur costume consiste en un "seidik". C'est un morceau de toile passé entre les jambes et rattaché aux reins en forme de caleçon, puis un large chapeau de paille de riz, gris de poussière. Nous sortîmes enfin des champs de cannes et, après une bonne heure de route, nous fîmes comprendre aux Malgaches porteurs, par un léger coup de pied dans la tête, qu'ils devaient nous mettre à terre. Ils se couchèrent dans le sable brûlant du soleil de décembre et attendirent notre bon vouloir. Nous étions près du bazar en face des cases. - Ah ! m'écriai-je avec enthousiasme, marchons, regardons, entrons chez eux ! Un de mes compagnons dit : - Nous allons visiter la première case qui nous semblera intéressante et vous verrez que ces braves gens sont plus hospitaliers que les civilisés. Ils nous offrirons tout ce que nous pourrons accepter. Comme paiement, le charme de notre conversation sera une rétribution suffisante.

- Qu'est-ce que ce petit plumeau qui est devant beaucoup de portes ? demandai-je. - C'est le "fady". Cette mince branche de bambou, surmontée d'une petite botte de paille de riz ou de verdure, est un préservatif contre les voleurs. C'est une croyance ! - Oh ! voyez cette case couverte de feuilles de ravenal ! m'écriai-je. Entrons ! En travers de la porte ouverte, une femme est couchée de tout son long sur une natte, ventre à terre. La tête au-dessus de ses bras croisés, le menton appuyé sur ses mains, elle regarde, calme, les passants. Dans un gobelet de fer, du rhum est presque sous son nez. Quatre autres personnes sont allongées en tout sens dans la case. Les hommes se lèvent. Des escabeaux nous sont offerts. C'est la tombée de la nuit, heure du repas. Ils mangent avec appétit du riz sec cuit sans sel, comme les créoles le préparent, avec du piment. Un plat qui m'intrigue fort, c'est le "téneck", espèce de hérisson, dont ils sont très friands. L'animal est rôti avec sa peau. Les poils durs et les piquants sont seuls enlevés. Malgré mon peu de goût pour ... le hérisson, je mange ce qu'ils m'offrent de si bon coeur et ils sont ravis, car je trouve que c'est "exquis". Le tout nous est servi dans des feuilles de ravenal avec de petites cuillers plates en corne de boeuf. Ils se désaltèrent avec de l'eau bouillie au riz. Nous en buvons comme du meilleur vin. Des mangues et ananas superbes me consolent de cette cuisine étrange que devrait essayer de mettre à la mode un Véfour parisien. - A bientôt ! dirent en malgache nos hôtes. - A bientôt ! répondons-nous en leur tendant la main. Notre ami BONTEMPS est précieux, car habitant ce pays, il est connu et se fait d'une façon charmante notre interprète.

C'était vraiment amusant de nous voir errer dans l'obscurité, nous appelant chaque fois que l'un de nous signalait ou découvrait quelque chose d'intéressant. Tout à coup je poussai un cri de joie. Je venais d'entendre à distance des sons nets et précis qui indiquaient qu'eux aussi, les Malgaches, cherchent à adoucir les moeurs. Ils faisaient de la musique ! Les découvrir et suivre, comme étoile conductrice, les sons qui nous arrivaient avec le vent, fut la même pensée de tous les trois au même moment. L'oreille tendue aux bruits de la nuit qui nous avait surpris, il nous arrivait des grondements de la mer, des chants d'oiseaux, des rugissements de taureaux et, entre temps, des battements d'un tambourin monotone qui nous indiquait que nous approchions. Nous marchions sur nos pointes, passant entre les cases qui sont aussi rapprochées que des tombes dans les cimetières parisiens, quand un chant monocorde nous fixa. Plus un mot, plus un geste ! Nous avions à quelque distance de nous, une femme malgache qui, son enfant attaché sur le dos, l'endormait en le berçant d'un mouvement rythmé. Et ... O puissance magique de la renommée ! Elle lui chantait ces mots sur un air connu : Gais et contents, Nous allions triomphants ... Ce brav' g'néral BOULANGER !... Voilà la mélodie "malgache" qui nous frappa dans l'intérieur de Majunga, à trente jours de la France ! Ce spécimen de la musique des Hovas m'avait suffi ! Comme patriote, je fus très flattée ; mais comme touriste, je fus si vexée que je ne voulus pas aller plus avant ce jour-là, craignant de rencontrer Paulus lui-même allant à la revue ou en ... revenant. Nous reprîmes nos filanzanes pour rentrer dans la ville indienne sur le bord de la mer.



Parmi les colonies françaises : Madagascar

Un bourjeane causait avec M. BONTEMPS. Ce dernier me dit : - Voulez-vous voir, en rentrant, une case où on garde un mort ? C'est un camarade du porteur, et comme c'est curieux, quoique pas très drôle, il nous fera entrer. - Oui ! dis-je avec enthousiasme. Quelques minutes après nous entendîmes des cris épouventables. C'étaient les amis du mort qui le veillaient et lui rendaient les devoirs de l'amitié. Le corps était posé sur une natte à terre. Il était habillé d'un lambas et comme la bouche était presque ouverte, on m'expliqua qu'elle était bourrée d'autant de pièces d'argent qu'elle pouvait en contenir, pour que le défunt payât sa bienvenue dans l'autre monde. Le cercueil, préparé pour le lendemain, contenait les objets précieux qui avaient appartenu au défunt et qui devaient être mis dans le tombeau avec lui. Les esclaves eux-mêmes sont possesseurs de caveaux. BONTEMPS m'expliqua que ce pauvre diable qui était mort n'avait pas de famille, mais que son "frère de sang" agissait comme s'il avait été son frère. - "Frère de sang", m'expliqua-t-il est une parenté créée au nom de l'amitié. Les deux contractants se font chacun au-dessus du creux de l'estomac une légère incision, imbibent du sang qui coule un morceau de gingembre ou "sakarivo" et l'avalent après l'avoir échangé. Ils se considèrent alors comme d'une même mère et s'aident à la vie, à la mort. Ce serment du sang est le plus sacré ! (...) Extrait du Petit Journal. Supplément du dimanche, p. 2 du n° du 24.02.1895.



Nous ajoutons pour clôturer ce dossier, trois photos de "L'Hymne à Madagascar et à la Liberté" de Jacques RABEMANANJARA.

Imprimé par la société des amis des poètes de l'Union française et des Tropiques, il a fait l'objet d'une édition originale numérotée parue le 1er mai 1948, aux presses de l'imprimerie R. Drivon. La première photo est la jaquette du livre, la deuxième représente le portrait dessiné de l'auteur et la troisième reprend les deux dernières pages du poème qui en comprend soixante-et-une.













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Vohémar

Vohémar (suite 1)

Les lignées issues de l'Hérault