Moyen Âge et Généalogie : de bonnes raisons d'être optimiste !



Il y a 25 ans, Lire dans son numéro n° 91 de mars 1983 faisait son dossier sur "Les stars du Moyen Âge". Dans son éditorial (les "carnets"), Bernard PIVOT écrivait : "Pourquoi cette formidable attention des historiens et des lecteurs au Moyen Âge ? Pourquoi le médiéval est-il à la mode ? Depuis quelques années le foisonnement des livres est tel que Lire a pensé vous être agréable et utile en vous proposant un dossier spécial sur le Moyen Âge. (...)" Sur cette mode surprenante, PIVOT donnait plus loin sa propre interprétation : "interroger le Moyen Âge, c'est y chercher les signes de la Renaissance. Peut-être beaucoup de gens ont-ils actuellement besoin qu'on leur raconte des guerres de cent ans, des expéditions de fanatiques, des histoires d'intolérance et de violence, pour se persuader que tout cela aura une fin, même provisoire. Sur quoi ils s'aperçoivent que la férocité médiévale, c'était aussi le temps des cathédrales (DUBY), et l'invention du purgatoire (LE GOFF). De même notre époque, point câline du tout, c'est aussi le temps des ordinateurs et l'invention de la défense des droits de l'homme. S'intéresser au Moyen Âge, c'est se donner de bonnes raisons d'être optimiste."



Les "stars" en question : Pierre BARRET, Jeanne BOURIN ,
Georges DUBY, Jean FAVIER, Jean-Noël GURGAND,
Jacques LE GOFF et Régine PERNOUD

Comment ne pas faire le parallèle entre cette vague d'intérêt porté au Moyen Âge et la vague non moins puissante de l'intérêt porté à la Généalogie ? Et si l'on faisait aussi de la généalogie pour se donner de bonnes raisons d'être optimistes ?

D'ailleurs, dans le dossier de Lire, un homme semblait faire la synthèse entre ces deux passions aujourd'hui populaires : Jean FAVIER , alors directeur des Archives nationales et auteur de livres à succès sur des sujets pourtant pas évidents, tel que La guerre de cent ans, publié en 1980. La revue soulignait (dans un article de Christine ROGUES) que : "ses ouvrages ne sont pas des textes "réservés" à ses pairs et, aux Archives, il a ouvert au public un service de recherches généalogiques (qui ne désemplit pas). "Je ne veux pas confondre l'enseignement et la littérature. J'apprends un métier à mes étudiants et j'éclaire un pan d'histoire à mes lecteurs. Par exemple, quand je cite VILLON à mes étudiants, j'apprends la métrique ; à mes lecteurs, je montre ce qu'il a voulu faire. Mais attention ! il serait indigne que je ne leur en dise pas assez. Le grand public a des curiosités qui naissent au cours de la lecture, il faut les lui proposer et il faut y répondre. C'est une question de politesse."

Chaque article sur ces historiens mériterait d'être repris mais nous nous contenterons ici de l'encadré d'un extrait de "Le singe de la montre" de Gilles LAPOUGE (éditions Flammarion, en 1982) : "Les habitants du XXe siècle ne se contentent plus de planter leurs maisons secondaires dans l'espace ; ils les aménagent dans le temps. Dès qu'ils ont un instant de songe, ils vont faire un tour dans le grenier des souvenirs pieux, ils passent un week-end dans un siècle perdu. Mais les promoteurs savent bien que certains terrains sont plus recherchés que d'autres. Comme le Lubéron séduit mieux que les plaines du Pas-de-Calais, le Moyen Âge connaît un "boom", ce pauvre vieux Moyen Âge qui n'en revient pas d'être tellement courtisé. Si longtemps il avait été jeté aux cabinets, on le laissait vivoter dans ses oripeaux, dans ses loques, et voici qu'il envoûte. Les romanciers font queue sur son seuil : l'an mille grouille de touristes. Les reines hallucinées, Frédégonde ou Brunehaut, sont des stars. Les douceurs du XIIe siècle, du XIIIe, les charniers de la grande peste, puis les calamités de la guerre de Cent Ans attirent des caravanes de gentils membres et d'organisateurs. Dans leur coin, les historiens surveillent à la jumelle ces petites invasions. Ils montent eux aussi des expéditions dans les combes de la Gaule, à l'ombre des cathédrales, ils nous font visiter les cloîtres. Pourquoi ces sollicitudes, ces ferveurs ? (...)"

25 ans après, en ce début de XXIe siècle où en sommes nous ?

Justement, la revue Sciences et Avenir (n° 155 hors-série de juillet-août 2008) fait son dossier sur "Moyen Âge. Le nouveau regard des chercheurs" dans lequel on retrouve en bonne place, comme en 1983, Jacques LE GOFF.



L'éditorial de sa rédactrice en chef, Alice KINER, nous fait comprendre que depuis les années quatre-vingts, l'engouement pour le Moyen Âge n'a cessé de croître et d'embellir : "On nous l'a si mal raconté ! Sombre, violent. Dominé par la guerre, la famine et la religion. Ou encore mièvrement romantique. Peuplé de chevaliers sans peur et de dames sans merci. Dix siècles d'histoire, un millénaire entier résumé à quelques clichés !
Pourtant, il fut complexe, vivant, ce Moyen Âge qui, des invasions barbares au Ve siècle à la découverte de l'Amérique au XVe, ne cessa de sombrer et renaître, inventer et découvrir. "Une ère de progrès illimité", selon les mots de Jacques LE GOFF, le plus grand médiéviste français, qui a accepté d'être notre initiateur et notre guide pour ce hors-série.
Il faut avoir son regard gourmand, débarrassé des stéréotypes, pour entreprendre la découverte d'un "autre" Moyen Âge. Aventureux, inventif, porté par un imaginaire et une vision symbolique d'une telle richesse, d'une telle subtilité que l'on peut s'y égarer. Le temps des cathédrales, mais aussi celui des universités, le temps des croisades, mais aussi des voyages, des échanges scientifiques, du partage des cultures au-delà des frontières et des religions. Le temps du sacré. Mais aussi des plaisirs et de la subversion. Spirituel, joyeux, coloré. Lumineux."


Ces découvertes d'un passé plus ou moins lointain, les enchantements de ces découvertes, c'est exactement le "ressenti" de l'apprenti généalogiste qui traque des ancêtres dans des dépôts d'archives, surtout quand il tente de reconstituer leur mode de vie, par exemple au travers des minutiers notariaux. Là encore, un de nos plus grands historiens, Fernand BRAUDEL, a su raconter - mieux que nous saurions le faire - ce que ressentent ces curieux aventuriers des vieux papiers : "Et puis, j'ai le goût des archives. J'ai toujours été surpris, enchanté par ce qu'on y découvre. Vous vous attendez à des renseignements sur les bateaux, vous trouvez des renseignements sur les propriétés foncières. Vous abordez une série concernant les rapports des paysans et des seigneurs, et vous tombez bec à bec sur un marchand. Et ainsi de suite. Vous n'êtes que rarement devant le spectacle que vous attendiez. Et, à force d'être trompé, détourné, vous finissez par avoir une sorte de vue d'ensemble. D'ailleurs, si vous n'avez pas rêvé de l'histoire devant tels ou tels documents, vous ne pouvez pas être historien." (Magazine littéraire, n° 212, novembre 1984 : "BRAUDEL. Le patron de la nouvelle histoire"). Cet extrait fait partie de propos recueillis par François EWALD et Jean-Jacques BROCHIER . Ceux-ci lui posèrent ensuite la question suivante : "Il faut donc et le document d'archives et la rêverie sur le document d'archives ?" Et l'historien répondit : " Oui, puisque vous êtes obligé de reconstituer, d'imaginer ce que vous cherchez."

(à suivre)

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