Chromosome Y.



"Plus nous améliorerons notre compréhension de l'origine commune et de l'épopée migratoire de l'espèce humaine, plus il nous sera possible de considérer que nous faisons tous partie d'une même et grande famille. (...) Ce n'est qu'en prenant conscience de cela que tous les habitants de la planète pourront trouver les moyens de vivre et de travailler ensemble." (Ted WAITT, fondateur de la Waitt Family Foundation, le 13.04.2005 (voir "L'état des connaissances en 2006")



Article paru dans la revue du Cercle généalogique de Languedoc (n° 114, premier trimestre 2007), pour les deux premières parties.


En 2006, nous avons repris ce dossier que nous avions retiré en 2004. Les rapports entre la généalogie et la génétique semblaient passer alors de la science à la passion et la raison y perdait son compte. Nous avions préféré attendre de nouveaux progrès, de nouvelles découvertes, pour faire le point, à nouveau, sur ce sujet brûlant. Reprise donc, en 2006, de l'inventaire que nous avions fait pour la période 1997-2002. Et poursuite de l'analyse en 2007, 2008, ... et les années suivantes dans Chromosome Y (suite 1) .




L'état des connaissances entre 1997 et 2002.
L'état des connaissances en 2006.
Références pour la période 1997-2002
Références pour l'année 2006





1/ L'état des connaissances entre 1997 et 2002

Et si l'on faisait de la généalogie autrement ? Il paraît que plus de 95 % de tous les hommes d'Europe descendent d'à peine dix lignées paternelles très anciennes. C'est du moins ce que conclut Ornella SEMINO, de l'Université de Pavie, en Italie, qui a analysé l'ADN du chromosome Y de plus de 1000 hommes issus de 25 communautés différentes. Ses recherches confirment que la plupart des Européens descendent des chasseurs-cueilleurs qui se sont installés dans la région il y a 40 000 ans, l'apport de l'immigration néolithique étant resté fort modeste.

Le chromosome Y ne se transmet que de père en fils et ne se modifie que très peu d'une génération à l'autre. Il joue, dans l'étude génétique des populations, le même rôle que les mitochondries, qui ne se transmettent que par la mère. Les analyses effectuées par la généticienne italienne révèlent que 95 % des hommes d'Europe se rattachent à l'une ou l'autre des dix lignées paternelles très anciennes qui dominent le paysage génétique du continent. Mieux encore, huit de ces dix lignées se rattachent aux premiers habitants de l'Europe, des chasseurs-cueilleurs arrivés par petits groupes il y a de 25 000 à 40 000 ans. Seulement deux se rattachent à la seconde vague, celle arrivée du Moyen-Orient, il y a 10 000 ans.

De son côté, Bryan SYKES, de l'Université d'Oxford, en Angleterre, a un jour eu l'idée de comparer ses gènes à ceux de personnes portant le même nom de famille que lui. Si nous portons le même nom, se disait-il, c'est sans doute que nous avons un ancêtre commun. Et si nous avons un ancêtre commun, peut-être partageons-nous certaines séquences d'ADN qui nous sont propres. Cette intuition vient de se vérifier : la moitié des 61 membres de la famille SYKES testés partageaient en effet des gènes spécifiques. En Angleterre, le nom de famille se transmet de père en fils depuis le XIIIe ou le XIVe siècle. Pour tester son hypothèse, le chercheur a analysé le chromosome Y, qui ne se transmet lui aussi que de père en fils, les femmes ayant un second chromosome X à sa place. Des 61 SYKES ayant fourni un échantillon d'ADN, la moitié environ partagent quatre séquences d'ADN uniques en leur genre, puisque l'on n'a pas trouvé leur pareil dans un groupe de contrôle. Cette grande unité génétique de la famille SYKES n'est pas unique : le chercheur a répété l'expérience sur trois autres familles et a trouvé des résultats comparables. Il en conclut que contrairement à ce que l'on croyait en généalogie, la plupart des familles descendent d'un ancêtre unique. Seuls les patronymes les plus fréquents, comme SMITH ou JONES, relèvent sans doute d'ancêtres multiples. Mais comment expliquer que la moitié des Sykes ne soient pas porteurs des gènes spécifiques de cette famille ? On y voit le résultat de l'infidélité conjugale des épouses : sur 700 ans, 1,3 % des enfants SYKES auraient en réalité eu un père issu d'une autre famille (enquête publiée dans l'American Journal of Human Genetics).

Dans son site Oxford ancestors, Bryan SYKES est cependant prudent par rapport aux découvertes d'Ornella SEMINO et d'autres chercheurs. Il indique qu'en théorie , les chromosomes Y peuvent être utilisés pour identifier un petit nombre d'ancêtres mâles communs. Il précise que quand la communauté scientifique sera d'accord sur le processus, Oxford Ancestors offrira le service correspondant. Il invite pour cela à surveiller le site. Cette prudence honore le chercheur, au moment où la grande presse commence à lancer des articles de plus en plus alléchants.

Sciences et Avenir titrait, par exemple : "Dix pères pour l'Europe", en reprenant les résultats des analyses d'Ornella SEMINO et de Peter UNDERHILL, de l'université de Stanford, aux Etats Unis. C'est encore la revue Nature qui traitait des particularités génétiques des Cohen, la lignée des prêtres juifs, par rapport aux autres descendances juives de la diaspora (Cohanim match), etc.

Il semble donc qu'il y ait une accélération très rapide des études sur le sujet des lignées menant aux ancêtres éloignés. Cependant, l'accord s'est fait d'abord sur les résultats basés sur les recherches de l'ADN des mitochondries, transmis exclusivement par la mère, alors que les recherches identiques fondées sur l'ADN des chromosomes Y, légué uniquement par le père, sont plus récentes. En fait, toute cette science est encore fraîche puisque c'est seulement il y a quatre ans que Bryan SYKES a pu démontrer la parenté, via la lignée maternelle, entre un professeur d'histoire, Adrian TARGETT, et "l'homme de Cheddar" , un squelette vieux de 9000 ans exhumé en 1903 dans une grotte se trouvant près du village de Cheddar, dans le Somerset. A des milliers d'années de distance, leur ADN des mitochondries diffère à peine d'une paire de bases sur 300. Le plus extraordinaire, c'est que ce professeur vivait dans le village, à quelques mètres de la grotte ! (l'échantillon avait porté sur des membres de familles implantées depuis au moins cinq générations dans le village).

La génologie !

Dans un article de la revue Pour la science, André LANGANEY, professeur au musée de l'Homme et à l'Université de Genève, a pris le contrepied de ces théories dans un pamphlet à la Voltaire : "Plus fort que l'astrologie, la génologie ! Pour retrouver le passé et prédire le futur, l'examen de l'ADN est la nouvelle charlatanerie".

Ce professeur estime que les théories ci-dessus sont des attrape-nigauds, à coup de 200 ou 300 dollars. Il critique particulièrement Bryan SYKES. Nous ne rentrerons pas dans la polémique mais nous avons l'intention de compter les coups. Voici, en attendant la suite, un extrait roboratif de cet article au vitriol :

"Qu'il y ait des escrocs au pays des gangsters, quoi de plus naturel ? Ce n'est pas à Oxford, au Collège de France ou à l'Académie des sciences que des scientifiques joueraient à cela ? Erreur ! Dans votre supermarché vous trouverez la traduction d'un livre de Bryan SYKES, d'un prestigieux institut médical d'Oxford. Il y explique que tout Européen descend d'une seule femme parmi les sept filles d'Eve. (...) Que l'ADN mitochondrial ne soit qu'un deux cent millième du génome, que la théorie de l'Eve africaine ait été réfutée dans les meilleures revues spécialisées, en 1989, par Laurent EXCOFFIER, puis, deux ans plus tard, par d'autres, ne trouble pas B. SYKES ! Il va jusqu'à préciser les lieux et dates exacts où vivaient nos plantureuses ancêtres (...) Là encore, un site Internet, pour 200£ cette fois, vous permet d'envoyer votre ADN à une start-up d'une écloserie d'Oxford, laquelle fournit en retour le roman de votre supposée ancêtre (...) feuilletez le livre sans l'acheter si vous ne me croyez pas ! (...)".

L'auteur n'évoque pas les théories sur le chromosome Y mais uniquement celles relatives à l'ADN mitochondrial. Peu importe, c'est l'ensemble de la théorie qui est mis à mal. Nous aurions pourtant aimé qu'il nous parle des faits qui ont déclenché la suite (l'homme de Cheddar).

Ouvrage de vulgarisation ou roman ?

La suite ne s'est pas trop fait attendre. Dans le courrier des lecteurs de la même revue, en novembre 2001, André LANGANEY persiste et signe :

"Dans le livre de B. SYKES [Les sept filles d'Eve], il y a de nombreuses erreurs de faits et d'interprétation en immunologie comparée et en génétique des populations que je n'ai pas pu détailler, faute de place. Il est faux que l'on puisse localiser et dater avec précision nos ancêtres communs d'il y a plusieurs milliers d'années sur la foi de notre ADN mitochondrial. Prétendre le faire dans un livre présenté comme un essai issu de la recherche est un mensonge, et la vente, sur Internet, de diagnostics identifiant l'ancêtre ainsi que des caractéristiques imaginaires est une escroquerie. Je n'ai rien contre la fiction et j'aurais été le premier à apprécier cet ouvrage si l'auteur avait mentionné Roman sur la couverture".

Un autre lecteur, Pierre-Simon JOUK n'est pas du même avis :

" (...) Je ne suis pas généticien des populations et ne suis pas en mesure de faire une critique de fond du livre. Cependant, il m'est apparu être un bon livre de vulgarisation, car il suscite de nombreuses questions à approfondir. Bryan SYKES définit simplement les concepts en jeu et il déjoue très bien les risques de surinterprétation. En ce qui concerne la génologie, les 80 dernières pages du livre (qui en compte 363) s'avancent à décrire les sept filles d'Eve, mais sur la base de données archéologiques et de données climatiques, et je n'y ai vu aucune déduction de comportement à partir de données génétiques (...)".

Dans le même numéro, Alicia SANCHEZ-MAZAS a écrit un article sur la question de l'apparition de l'homme et elle passe en revue les différentes théories. Le chapeau de l'article donne bien la tonalité de l'argumentaire :

" (...) Lorsque les généticiens ont tenté de reconstituer l'histoire de notre espèce, ils ont trouvé des résultats différents et apparemment contradictoires. Par exemple, si nous descendions tous d'une femme qui vivait il y a 200 000 ans et d'un homme qui vivait il y a 50 000 ans, comme des études génétiques le suggèrent, comment s'étaient-ils rencontrés ? Pour faire concorder leurs résultats, les généticiens ont échafaudé des interprétations parfois discutables. Alors dans cet imbroglio, comment distinguer le bon grain de l'ivraie ? (...) Les résultats fiables nous éclairent sur la diversité génétique actuelle et sur les facteurs dont elle dépend. Toutefois, ils ne concernent qu'une petite partie du génome et ne doivent être interprétés que prudemment en termes d'histoire des populations (...)".

Les secrets du chromosome Y

L'intertitre ci-dessus est dans le même article de cette généticienne, ainsi que l'extrait qui suit :

"Pour tenter de dissiper leurs incertitudes, les généticiens ont délaissé l'ADN mitochondrial pour se lancer dans l'étude d'autres systèmes génétiques. Parmi eux figure le chromosome sexuel Y, qui a pris le relais de l'ADN mitochondrial dans de nombreux laboratoires. Ce chromosome, dont la présence définit le sexe masculin, sur le plan génétique, n'est transmis que par les hommes (les chromosomes X et Y sont présents en un exemplaire chacun, chez les hommes, alors que les femmes ont deux chromosomes X). L'étude du chromosome Y est complémentaire de celle de l'ADN mitochondrial, transmis uniquement par les femmes."

"D'après les travaux de Peter UNDERHILL et de ses collègues, de l'Université de Stanford, l'ancêtre commun des gènes du chromosome Y n'aurait que 59 000 ans et serait beaucoup moins vieux que celui des gènes de l'ADN mitochondrial (vieux de 100 000 à 200 000 ans). Pour interpréter ces résultats, l'équipe californienne a imaginé le scénario suivant : l'homme moderne serait apparu en Afrique il y a 130 000 à 70 000 ans, d'après les indices paléontologiques, mais il aurait émigré sur les autres continents il y a 59 000 ans, d'après leur étude du chromosome Y. Toutefois, cette interprétation est à nouveau discutable, puisque chaque gène a probablement un ancêtre commun d'âge différent. En outre, pour les besoins de leur étude, P. Underhill et ses collègues ont considéré que le chromosome Y n'avait pas été influencé par la sélection naturelle, ce qui semble improbable. Ainsi, comme pour l'ADN mitochondrial, l'histoire du peuplement que l'on déduit du chromosome Y est incertaine. (...)"


L'auteur passe ainsi au crible toutes les théories mais les derniers mots de son article laissent encore augurer de beaux jours et de belles "batailles" entre scientifiques :

"L'histoire humaine est faite de migrations, d'expansions, d'adaptations, d'extinctions et de mélanges de populations. Les 100 000 à 200 000 ans qui se sont écoulés depuis l'apparition de l'homme moderne ont brouillé les gènes. Les analyses parallèles de nombreux systèmes génétiques indépendants, par des méthodes complémentaires et sur des échantillons de populations représentatifs nous aideront peut-être à démêler nos généalogies."

Pour la généalogie, justement, nous aimerions bien que les grandes associations généalogiques interrogent les scientifiques pour savoir ce qui peut être retenu aujourd'hui - dans l'état actuel de la science - de ces théories et de ces découvertes.


L'arbre et la forêt

Tout le monde sait qu'un arbre peut cacher la forêt. C'est peut-être ce qui est en train de se passer avec ces polémiques qui passent sous silence les multiples travaux sur les différences géniques des populations et donc leurs origines diverses. Il suffit de compulser le site de l'American Journal of Human Genetics pour comprendre. Rien qu'en regardant les derniers numéros (de novembre 2000 à décembre 2001), nous avons noté les études suivantes :

- novembre 2000 : chromosome Y et mitochondries des populations d'Amérique du sud (indiens et immigrants plus récents).
- décembre 2000 : influence géographique avant celle du langage sur la diversité du chromosome Y, en Europe.
- décembre 2000 : origine du peuplement en Europe (perspectives féminines et masculines)
- janvier 2001 : chromosome Y et populations australiennes et mélanésiennes.
- février 2001 : chromosome Y et évolution des populations en Asie du sud-ouest.
- mars 2001 : mitochondries et populations de l'Islande et des îles de l'Atlantique nord
- octobre 2001 : mitochondries et recolonisation de l'Europe après les glaciations.
- novembre 2001 : chromosome Y des Juifs, part du paysage génétique au Moyen Orient.
- décembre 2001 : origines indiennes des gitans : chromosome Y et mitochondries.

L'article de décembre 2000 sur le peuplement européen est particulièrement intéressant. Il passe en revue les différentes méthodes (en particulier avec le chromosome Y), donne les noms et les références des nombreux chercheurs, les années des études, etc. La conclusion est modérée mais caractéristique de l'avancement des travaux : "Débuts d'un consensus sur le rôle des fermiers du néolithique dans les origines européennes".

Des squelettes rebelles

Un article du magazine La recherche a retenu notre attention car, sans citer le fameux squelette de Bryan SYKES, il en ruine la démonstration scientifique : "Pour les restes humains déposés dans les musées, et notamment pour les restes anciens d'Homo sapiens qui auraient des séquences semblables aux sujets actuels, l'affirmation de l'ancienneté de telles séquences semble à l'heure actuelle impossible."

Tout l'article intitulé: "Les surprises de l'ADN ancien" montre les difficultés de trouver des liens génétiques entre les populations anciennes et les populations contemporaines, à partir de l'analyse de l'ADN des os des squelettes retrouvés dans les sépultures. Les auteurs démontrent les risques de contamination par l'ADN des archéologues et autres chercheurs qui manipulent ces ossements. Des protocoles stricts sont nécessaires si l'on veut aboutir à des résultats fiables. Malgré quelques résultats encourageants (en particulier, les liens prouvés, à deux millénaires de distance, entre les mongols actuels et les Xiong Nu qui peuplaient alors la région et contre lesquels les Chinois ont élevé la Grande Muraille), la plupart des résultats enregistrés à ce jour souffrent de ce risque de contamination. Par contre, désormais, les laboratoires spécialisés se sont organisés et équipés : "Actuellement, les laboratoires dédiés à l'étude de l'ADN extrait de tissus anciens sont équipés spécifiquement pour éviter les problèmes de contamination. Ils ont depuis longtemps adopté des règles de travail très strictes : pièces en surpression afin d'empêcher l'air et ses contaminants de pénétrer, hottes à flux laminaires, port de gants et de masques tout au long des manipulations, etc. (...)"

2/ L'état des connaissances en 2006

- Première question : en 2006 (le 18 avril), que devient Bryan SYKES ? La réponse est donnée par Internet, sur le site "Oxford ancestors". Il y propose ses services tarifés, après analyse du côté du chromosome Y pour les hommes et des mitochondries pour les femmes. Il y ajoute des services particuliers. Ainsi, il est dit qu'il a identifié le chromosome Y du héros celtique SOMERLED, roi des Hébrides de la première partie du douzième siècle (comment a-t-il fait ? Il ne le dit pas.) Il a aussi trouvé les mêmes spécificités dans les descendants de plusieurs clans, MACDONALD, MACDOUGALL et MACALASTAIR. Alors, si on veut savoir si on est dans cette lignée, une analyse coûte 180 livres anglaises. Analyse aussi pour les américains (promotion spéciale) pour savoir si les ancêtres paternels venaient des îles britanniques et s'ils étaient d'origine celtique ou anglo-saxonne ou viking, le tout pour la modeste somme de 190 livres. Du côté des femmes, pour trouver l'origine matrilinéaire, on propose d'abord d'acheter le livre "Les sept filles d'Eve", si vous êtes européenne ou, sinon, il sera capable de dire duquel des 29 autres groupes vous descendez (il y a 36 groupes pour la totalité de l'Humanité), tout cela par l'analyse des mitochondries, au prix d'ami de 180 livres (tous ces prix incluent les frais d'emballage et les frais postaux, bien sûr). On le voit, en quelques années, le marché s'est organisé et il faut croire qu'il prospère ! Mieux, il est proposé aux femmes de porter un bijou en jade (45 livres) qui identifie le groupe ("clan mother") qui vous a été attribué, après analyse de votre ADN. On a le sens du commerce ou on ne l'a pas mais, après tout, pourquoi pas ?

- Deuxième question : en 2006, "The American journal of Human Genetics" (édition électronique) a-t-il continué à produire des études sur le sujet ? La réponse est affirmative. Par exemple, dans le n° de mars 2006, on voit un article sur les ancêtres maternels des juifs askhenazes (presque la moitié peuvent se rattacher à seulement quatre femmes ayant des caractéristiques ADN qui sont virtuellement absentes dans les autres populations). Egalement un article dans le numéro de février 2006, à partir du chromosome Y, sur la faible influence génétique des "pasteurs d'Asie centrale" aux Indes, ou encore cet article du n° 4 d'octobre 2005 qui fait part d'une étude comparée de l'ADN des noirs américains (des USA) avec l'ADN de noirs "d'Afrique centrale de l'Ouest", article qui montre, notamment, que 55 % des premiers ont des liens avec ces ancêtres de l'Afrique de l'Ouest. Ainsi, le monde scientifique continue à progresser dans ce type d'études, sans se soucier d'une communication pour les non spécialistes.

- Troisième question : en 2006, entre le "sensationnel" des programmes "d'Oxford Ancestors" et les études très scientifiques mais plus confidentielles (pour le grand public) révélées par "The American journal of Human Genetics", y-a-t-il une place pour un programme de grande envergure, ayant un label scientifique garanti mais faisant participer "l'homme de la rue" ? Il semble bien que oui. En effet, dans "la lettre de Généanet", News Geneanet, du 08.04.2006., on y voit la reprise dans le "Blog Geneanet" d'un article du Monde du 05.04.2006, signé par Stéphane FOUCART, et celui-ci renvoie lui-même au site Internet de la National Geographic Society où l'on trouve détaillé le programme dit "Genographic", lancé par la National Geographic Society, IBM et la Waitt Family Foundation (consultation Internet du 11.04.2006). L'intérêt premier de la démarche, c'est d'être tenu au courant rapidement. Au passage, on voit ainsi, qu'un article du journal Le Monde a plus d'effet sur "le monde" de la généalogie que de multiples articles dans les revues scientifiques mais c'est peut-être aussi qu'en 2006, un consensus plus large s'est fait sur ce sujet qui prêtait à polémiques, quatre à cinq ans plus tôt.

Voici ce que nous apprend l'article de Stéphane FOUCART : "Le génome humain est un livre d'histoire. Lancé par la National Geographic Society, IBM et la Waitt Family Foundation, le projet Genographic veut donner aux scientifiques les moyens de lire le détail des grandes migrations d'Homo sapiens depuis sa sortie d'Afrique, voilà environ 60 000 ans. Le principe est de récolter dans les communautés indigènes, partout sur la planète, une grande quantité d'échantillons d'ADN, pour affiner les corrélations entre origines géographiques, migrations et variations du génome.Genographic comporte aussi un volet public et commercial, à destination des particuliers, qui vient d'être lancé en France. Pour une centaine d'euros - dont une part servira au financement des recherches, une autre à la préservation des cultures locales -, il est possible d'exhumer de son patrimoine génétique une part, lointaine et partielle de son histoire familiale. Comment ? Par l'étude du chromosome Y pour les hommes et de l'ADN mitochondrial pour les femmes. Ces deux marqueurs génétiques sont transmis de père en fils pour le premier et de mère en fille pour le second. (...) Pour participer au volet public, il suffit de commander sur le site Web du National Geographic un kit de prélèvement ADN pourvu d'un code d'identification anonyme. L'échantillon obtenu (par frottis buccal) sera retourné à un laboratoire ; les résultats seront croisés avec les données génétiques déjà disponibles. Les conclusions seront accessibles après deux à trois semaines sur le site Internet de la National Geographic Society. (...) Lancé en mai 2005, Genographic devrait fournir ses premiers résultats"dans un an environ" selon M. Lluis QUINTANA-MURCI." (ce dernier est généticien des populations, chercheur à l'Institut Pasteur et porte-parole du projet en France).

Voici, maintenant, ce qu'indique le site de la National Geographic Channel (NGC) : "La NGC et IBM entreprennent une recherche unique destinée à retracer l'épopée migratoire de l'espèce humaine. Le projet Genographic va recourir à des analyses scientifiques et informatiques sophistiquées, auxquelles vont contribuer des centaines de milliers d'individus, peuples indigènes et grand public confondus. Conduite par le physicien Spencer WELLS, Explorer-in-Residence de National Geographic, une équipe de chercheurs internationaux et d'informaticiens d'IBM vont recueillir des échantillons d'ADN, les analyser et proposer le résultat de leurs recherches. Grâce au soutien de la Waitt Family Foundation, les scientifiques vont établir 10 centres autour du monde. Ces recherches devraient permettre d'en savoir plus sur l'histoire des migrations de l'humanité ainsi que sur les ressemblances et différences que les espèces humaines entretiennent entre elles.(...)"

Si l'on se reporte ensuite sur le site de la Waitt Family Foundation, on trouve, à la date du 13.04.2005, un article d'actualités d'IBM intitulé : National Geographic et IBM lancent un grand projet afin de retracer les chemins suivis par l'homme pour peupler la planète.. Cet article donne, en fait, toutes les informations qui ont été reprises ensuite dans les sources que nous venons de voir. Il précise, cependant que l'étude est : "(...) prévue pour durer cinq ans", en indiquant les éléments de base du projet. En fait, on a bien l'impression que le sujet devient "grand public", aujourd'hui. D'une part, avec de nouveaux livres (par exemple, celui de Spencer WELLS ("Le voyage de l'homme. Une odyssée génétique") et surtout parce que la télévision commence à en parler. Un seul exemple, le 01.05.2006, TV5 Monde faisait une information sur le sujet en montrant "le kit du prélèvement buccal" pour recueillir l'ADN nécessaire à l'analyse. Une question, cependant, avant d'aller plus loin : A-t-on mis les laboratoires en concurrence ? Si quelqu'un envoie un prélèvement à "Oxford ancestors" et un autre prélèvement à "Genographic", le résultat sera-t-il équivalent ?

Un début de réponse se trouve dans L'Express n° 2867 du 15.06.2006. Ce magazine a fait sa couverture sur "Généalogie et génétique. Tout savoir sur nos origines". Dès sa première page, on annonce la couleur : "C'est une nouvelle façon de rechercher ses ancêtres qui fait fureur dans les pays anglo-saxons, fondée non plus sur l'étude des registres d'état civil, mais sur l'analyse de l'ADN. Des laboratoires, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, proposent des tests premettant d'identifier ses ancêtres lointains, sa région d'origine ou son groupe ethnique. Pour la première fois, des techniques qui servent à pister les criminels ou à déterminer la paternité d'un enfant sont utilisées à des fins de loisirs. Elles posent de nouvelles questions sur les notions de race et d'identité. Nos gènes parlent de nous, mais aussi de nos parents, de nos ancêtres et de leur histoire. Jusqu'où ira cette inquisition biologique ?

Sans revenir ici sur tout ce qui est dit ci-dessus, sont évoqués dans le magazine les laboratoires "Family Tree DNA", à Houston (aux USA), "Relative Genetics", à Salt Lake City (aux USA), "African Ancestry", à Washington (aux USA) ou "Oxford Ancestry", à Cambridge (en Angleterre) et puis, bien sûr, le "Genographic Project", en association avec IBM et la "Waitt Family Foundation", qui vise à reconstituer les grandes migrations humaines depuis 100 000 ans. Sont aussi évoqués les biologistes espagnols qui ont entrepris de retrouver les descendants de Christophe COLOMB (le responsable de l'opération étant le professeur José Antonio LORENTE , de l'université de Grenade, en Espagne).

Tout cela veut-il dire que les critiques portées à ces recherches ont disparu ? Pas vraiment puisque, par exemple, la "Commission de génétique humaine" (en Grande-Bretagne) a publié une mise en garde contre les promesses exagérées des laboratoires. Mais le mouvement lancé semble irrésistible. Aujourd'hui, selon L'Express, "Oxford Ancestors" vend quelque 5000 tests par an, à 270 euros pièce en moyenne, aux particuliers désireux de connaître leurs origines lointaines. Encore plus caractéristique, la participation d'une quarantaine de généalogistes amateurs d'Aurillac à une étude de scientifiques américains sur les variations génétiques et morphologiques des populations (par le laboratoire de la Penn State University de Philadelphie, aux USA). Si cette mode a même fini par toucher le Massif Central, c'est que ce n'est plus simplement une mode ...

Pour autant, c'est surtout le monde anglo-saxon qui est touché par l'envie de passer ces tests. Le journal La Croix du 22.09.2006 annonçait ainsi sous le titre : "Le chiffre 10 000", un nouvel exploit de Bryan SYKES (article probablement repris de l'AFP) : "10 000 Britanniques et Irlandais volontaires ont accepté de se prêter à un test d'ADN qui permet aujourd'hui à Bryan SYKES, professeur en génétique humaine de l'université d'Oxford, d'affirmer que ces derniers sont, par l'intermédiaire de leurs ancêtres celtes, les lointains descendants de pêcheurs venus d'Espagne. Ils auraient émigré vers le nord entre 4000 et 5000 avant J.C. Jusque là, les Celtes étaient considérés comme des descendants de tribus d'Europe centrale. En outre, les Celtes ne sont pas uniquement les ancêtres des Ecossais, des Gallois et des Irlandais, mais aussi des Anglais."


Le projet Genographic se trouve évoqué dans le dossier d'octobre 2006 de la revue La Recherche, consacré au sujet de "La science et les races". Les articles de ce dossier sont : 1/ Les dessous du médicament pour les Noirs, 2/ Se soigner selon son origine, 3/ Génome sans frontières et 4/ L'antiracisme doit-il rompre avec la science ? Ce n'est pas la première fois que cette revue aborde le sujet puisqu'en janvier 1997, le dossier traitait de "Race, gène et QI", cependant qu'en octobre 1997, le dossier concernait "La science et la notion de race". Vaste débat, donc, qui constitue le contexte général de notre propos, ici. Grande prudence aussi de ces chercheurs pour qui "les distances génétiques entre populations semblent réfléter leur distribution géographique" (Lynn JORDE et Stephen WOODING, chercheurs au département de génétique humaine de l'université de l'Utah). Impossible de reprendre tout ce qui est écrit, sauf à noter qu'aux Etats Unis, "l'appartenance "raciale" est aujourd'hui revendiquée comme principe d'identité individuelle et collective" (Wiktor STOCZKOWSKI, qui enseigne l'anthropologie à l'Ecole des hautes études en sciences sociales). Ce dernier souligne qu'il "serait naïf d'espérer que la France sera encore longtemps épargnée par ces débats. Pour y faire face, il n'est pas question, bien evidemment, d'abandonner les valeurs directrices de l'antiracisme. En revanche, il paraît urgent de repenser son argumentaire, qui n'est plus adapté à l'actuel contexte scientifique et social". On ne peut que renvoyer à cette étude qui, encore une fois permet de donner une meilleure perspective aux recherches d'ancêtres très lointains, à partir du chromosome Y (pour les hommes) et des mitochondries (pour les femmes).

Et puis, comme l'année est en train de se terminer, il devient intéressant de commencer à montrer les résultats de tous ces tests génétiques. C'est ce que fait le magazine Time dans son numéro du 6 novembre 2006 avec un article de Carolina A. MIRANDA, sur le thème des surprises qui attendent ceux qui croient connaître leurs racines. Au passage, on voit qu'il suffit de passer par Internet pour trouver une "demi-douzaine" de laboratoires qui proposent leurs services au coût unitaire d'environ 200 dollars. L'intéressée, originaire de l'Amérique du sud, s'est adressée à deux sociétés différentes pour pouvoir comparer ses résultats. Et là, surprise ! DNA Tribes lui a montré qu'elle avait des ancêtres, non seulement européens et indiens mais aussi de l'Afrique sub-saharienne. L'autre compagnie, DNA Print a donné des résultats similaires mais dans une proportion en pourcentages différente. Pour autant, ces résultats considérés comme surprenants par l'intéressée (pour la partie africaine) n'ont pas été accompagnés par des explications. En fait, les tests ne donnent qu'une sorte de vraisemblance statistique et laissent donc sur leur faim les "testés". Ce qui est aussi intéressant dans cet article, c'est la conclusion qui, en substance, souligne que le test n'a pas changé l'opinion de la personne sur elle-même. Elle reste bien dans "la case" des Latinos, même s'il y a des imperfections et, surtout, cela prouve bien que nous sommes le produit de siècles de mélanges et de migrations. Finalement, la véritable identité, semble-t-il, n'est pas dans nos gènes mais dans notre esprit ("Did the tests change my view of myself ? Not really. I'll still put my check in the Latino box, imperfect as it is. If the process proved anything, it's that we're all a messy amalgam of centuries of mixing and migration. True identity, it seems, resides not in our genes but in our minds.")

Si l'on veut vraiment faire un point sérieux sur toutes ces questions, il est conseillé de lire un article tiré de "L'observatoire de la génétique" (IRCM, centre de bioéthique, à Montréal) de Catherine NASH (maître de conférences au Département de géographie humaine de Queen Mary, Université de Londres), qui date de septembre-novembre 2005 (n° 24). Intitulé "Génétique récréative, race et liens de parenté" ("Recreational genetics", race and relatedness), nous le reprendrons plus tard avec d'autres analyses.


Références pour la période 1997-2002

- Pour les informations sur les découvertes d'Ornella SEMINO : http://quebecscience.qc.ca/cyber/3.0/n2112.asp (le 22.05.2001). Le texte repris dans les deux premiers paragraphes est celui qui se trouve sur le site de Québec Science, dans la rubrique nouvelles, intitulé : "Les dix pères de l'Europe".

- Dans le même site, compléter avec les articles "Après l'Eve, voici l'Adam africain" et "l'Eve africaine prend un coup de vieux", respectivement à 3.0/n2098.asp et 3.0/n1135.asp (consultés aussi le 22.05.2001).

- Pour le 3e §, même source au 3.0/n1764.asp (consultation au 22.05.2001). Article intitulé : "Chaque famille aurait sa propre signature génétique".

- http://www.familytreedna.com

- http://www.pnas.org/cgi/

- Sciences et Avenir. n°53. Avril 2001. Article : "Retrouvez votre ancêtre Cro-Magnon".

- http://www.med.nyu.edu/genetics

- Time. n° du 30 avril 2001. Article : "Living in the past"

- http://www.oxfordancestors.com

- "L'origine génétique de l'homme moderne", dans Dossier pour la Science, hors série de janvier 1999.

- Nature. Vol 385. 2 janvier 1997 (voir : http://www.familytreedna.com/nature97385.html)

- Pour la Science (Edition française de Scientific American. N° 287 de septembre 2001. Article d'André LANGANEY (p.8). Dans le même numéro, il y a un article très intéressant sur l'histoire démographique et génétique du Québec : "Grâce aux registres paroissiaux anciens, les démographes ont reconstitué la généalogie des Québécois dont les ancêtres étaient venus de France" (p.62). Au passage, une carte montre les lieux et les zones d'origine et l'on se rend compte de la faiblesse numérique du Bas Languedoc dans cette émigration.

- Pour la Science, n° 289 de novembre 2001. Courrier des lecteurs et article d'Alicia SANCHEZ-MAZAS (p. 84) : "Les origines de l'homme au coeur de ses gènes". L'auteur est généticienne au Laboratoire de génétique et biométrie de l'Université de Genève.

- American Journal of Human Genetics (Electronic édition). Vol 67 : n° 5, 6, Vol 68 : n° 1, 2, 3, 4, Vol 69 : n° 4, 5, 6.(obtenu à partir de Google.com) : http://www.journals.uchicago.edu/AJHG/journal/issues Il y a des extraits et des textes complets. Ces derniers ne sont pas toujours accessibles. Voici les titres de certaines de ces études, en anglais : "Autosomal, mtDNA, and Y-Chromosome Diversity in Amerinds : Pre and Post-Columbian Patterns of Gene Flow in South America". "The Peopling of Europe from the Maternal and Paternal Perspectives". "Independant Histories of Human Y Chromosomes from Melanesia and Australia". "Y-Chromosome Lineages Trace Diffusion of People and Languages in Southwestern Asia". "mtDNA and the Islands of the North Atlantic : Estimating the Proportions of Norse and Gaelic Ancestry". etc.

- La Recherche, n° 353 de mai 2002. Article : "Les surprises de l'ADN ancien", par Eric CRUBEZY , Christine KEYSER et Bertrand LUDES. Le sous-titre de l'article était : " Une technique miracle à manier avec précaution." et le "chapeau" résumait ainsi la problématique : "Peut-on résoudre des questions d'anthropologie et d'archéologie par l'extraction et l'analyse de l'ADN de nos ancêtres morts il y a quelques milliers d'années ou plus ? Oui, mais seulement dans les cas favorables à la conservation de l'ADN. Et à condition de respecter certaines contraintes lors des fouilles afin d'éviter les faux résultats."

Références pour l'année 2006

- Le Monde, 5 avril 2006

- L'express, 15 juin 2006.

- La Croix, 22 septembre 2006.

- Le site Internet d'"Oxford ancestors"

- Le site Internet de "The american journal of Human Genetics"

- Le site Internet de la "National Geographic Society"

- le site Internet de la "Waitt Family Foundation"

- La lettre Généanet du 8 avril 2006.

- La Recherche, n° 401 d'octobre 2006. Dossier : "La science et les races".

- Time, 6 novembre 2006, p. 42 : "Your roots are showing. Personal DNA analysis can reveal some surprisingly tangled bloodlines"


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