La Dame, l'Evêque, l'Abbé, le Parlement de Toulouse, le Maire de Montpellier, l'Intendant du Languedoc ... et le Roi !

(ou une histoire rocambolesque montre quel était le jeu des pouvoirs entre les puissants et où en était le jansénisme, à Montpellier, en 1755-1756)




Le jansénisme est un mouvement religieux puis politique, qui se développe aux XVIIème et XVIIIème siècles en réaction à certaines évolutions de l'Eglise catholique et à l'absolutisme royal (pour en savoir plus sur les origines et les développements de ce mouvement, se reporter aux références du point 9 où sont repris des extraits tirés, notamment, de la série C des Archives départementales de l'Hérault et d'un livre sur le jansénisme de l'abbé SPEYBROECK). L'histoire qui est développée ici se passe en 1755 et 1756, à Montpellier, c'est-à-dire dans une ville éloignée de Versailles et à une époque déjà tardive pour le jansénisme. Cependant, elle est très utile pour connaître les points de vue des puissants et des "petites gens", loin de Paris. C'est une sorte de photographie qui montre l'état de la pensée en cette moitié du XVIIIècle, une trentaine d'années avant la Révolution de 1789 qui verra une partie des idées jansénistes se concrétiser dans la Constitution civile du clergé.




1 / La gloire de l'Évêque
2 / La résistance de la Dame
3 / La sortie de l'Abbé
4 / La médiation du Maire de Montpellier
5 / L'Intendant aux ordres du Roi
6 / Les remontrances du Parlement de Toulouse
7 / L'arrêt du Parlement de Toulouse
8 / Qui était donc cet abbé EUZET ?
9 / Conclusions
10 / Références
11 / Notes



1 / La gloire de l'Évêque


Premier portrait de Mgr de VILLENEUVE


Si on lit la "Vie de Mgr de VILLENEUVE, évêque de Viviers et de Montpellier" par le chanoine honoraire Ferdinand SAUREL, en 1889, on est impressionné par la vigueur que mit ce prélat à combattre le jansénisme. Un exemple est particulièrement mis en valeur, pages 42, 43 et 44. Nous reprenons cet extrait intégralement ici.

"En 1755, époque où le jansénisme tendait à disparaître de Montpellier, les novateurs cherchèrent à donner un peu de vie à leur petite église. Ils imaginèrent pour cela de préparer un scandale marquant, pour la quinzaine de Pâques, et choisirent, comme propre à leur en fournir l'occasion, une femme attaquée d'une maladie de poitrine qui pouvait traîner longtemps et leur laisser le loisir de faire du bruit. Cette femme était Mme de MOUSTELON, née de BONNIER. Sur les conseils qui lui furent donnés, elle fit demander à l'abbé GRANET, curé de Notre-Dame, paroisse sur laquelle elle avait son domicile, de lui porter la communion pascale (2 avril).

On savait au presbytaire les sentiments et les dispositions de cette personne et ceux de son mari, conseiller à la cour des Aides, relativement à la bulle ; on put facilement prévoir une prochaine tempête ; on ne voulut point y exposer les vicaires, qui le même jour remirent leurs pouvoirs à l'évêque. Quant au curé, il fit enlever les meubles de la cure et se présenta chez Mme de MOUSTELON, persuadé que, sa démarche n'aboutissant pas, il ne tarderait pas à être frappé. La malade, suivant la prévision du curé, se retrancha derrière le silence imposé, disait-elle, par le Roi et ne voulut point faire sa soumission. Les jansénistes ne parlaient que de saisies, d'amendes et de décrets. L'évêque voulant assumer sur lui seul les mesures de rigueur, conseilla à l'abbé GRANET de s'éloigner et de se réfugier dans le Comtat-Venaissin, sa patrie ; puis, il rendit une Ordonnance pour assurer le service de la paroisse (5 avril).

Descente du juge-mage au presbytère, ordonnance du sénéchal enjoignant aux prêtres de la ville et de la banlieue d'administrer les sacrements à la malade. Les huissiers se cachent, trouvant la commission odieuse. Les prêtres refusent. On les menace de la saisie de leur temporel. On se souvient enfin qu'il existe dans la ville un Evêque chargé de dispenser les choses saintes. On s'adresse à lui ; Villeneufve se rend chez la malade ; à sa sortie, une foule énorme, évaluée à 4,000 personnes, remplit les rues voisines de la maison. Le Prélat s'esquive par des chemins déserts, après avoir cherché à calmer l'effervescence populaire. Surviennent bientôt Arrêts sur Arrêts de la grand'chambre du parlement de Toulouse ; mais on ne trouve pas un seul prêtre qui veuille consentir à porter les sacrements à la malade.

On met enfin la main sur un prêtre longtemps interdit pour cause de folie et que le Prélat avait fait admettre à l'hôpital-général comme pensionnaire. On lui fait dire la messe dans la chapelle du Présidial et consacrer une petite hostie. Pendant qu'il est à l'hôtel, M. de MOUSTELON et le juge-mage, accompagnés de plusieurs huissiers, se rendent à Notre-Dame. Le peuple s'y précipite à leur suite, croyant qu'on va faire un mauvais parti à l'abbé POUJOL, et se dispose à le défendre ; mais ce n'est point à l'abbé POUJOL qu'on en veut ; on se contente d'enlever le dais, les flambeaux et autres objets du culte nécessaires pour la cérémonie sacrilège qu'on prépare.

Peu après, on voit sortir de la maison de justice un prêtre tenant dans ses mains, faute de ciboire, une bourse dans laquelle repose l'hostie qu'il vient de consacrer. Il marche sous le dais, dont les bâtons sont portés par trois huissiers et le concierge de la prison. Le juge-mage et trois autres magistrats ont des flambeaux à la main. Le corps des huissiers, les cavaliers de la maréchaussée et un détachement de soldats appartenant au régiment de Navarre forment un nombreux cortège. Les troupes de la garnison sous les armes bordent les rues par lesquelles le Saint-Sacrement doit passer. Toutes les avenues sont militairement gardées, tant on a peur d'un soulèvement de la population. le malheureux prêtre arrive enfin chez la dame de MOUSTELON, ne fait aucune des cérémonies marquées par le rituel, ne récite même pas la plus petite prière, donne la communion à la malade, et se retire.

Est-ce tout ? - Non. - Le Parlement de Toulouse n'est pas encore satisfait ; il condamne au feu un écrit ayant pour titre : Relation exacte des troubles arrivés à Montpellier à l'occasion de quelques refus de sacremens ; il ordonne le bannissement perpétuel du curé de Notre-Dame et du curé de Sainte-Anne, et déclare y avoir abus dans une Ordonnance de l'Évêque de Montpellier et dans la réponse qu'il fit à la signification d'un Arrêt de la cour.

Ces condamnations n'empêchèrent pas VILLENEUFVE de continuer à se montrer ferme, et deux fois encore les sacrements furent refusés dans la ville de Montpellier. Mais ce fut la fin, et presque tous les opposants firent leur soumission. Restaient les oratoriens."


Second portrait de Mgr de VILLENEUVE

Voici donc une première version de cette histoire, la version catholique officielle, en quelque sorte, mais quel est le point de vue de l'autre partie, celui des Jansénistes ? A-t-on des sources d'archives contradictoires ?

Or, justement, deux types de documents nous permettent d'en savoir plus sur ce qui s'est passé en 1755 et 1756, à Montpellier. C'est, d'une part, une série de lettres imprimées à La Haye, aux Pays-Bas (en 1755), "au sujet du refus des sacremens fait à Madame de MOUSTELON par le Curé de Notre Dame de la ville de Montpellier, et par M. de VILLENEUVE, Evêque de ladite Ville, et des moyens horribles dont on s'est servi pour pouvoir la priver du Saint Viatique" et, d'autre part, des "remontrances" du parlement de Toulouse au roi, "au sujet des ordres notifiés au Sieur EUZET par M. l'Intendant de Languedoc" (en 1756).

Il y a cinq lettres imprimées en 1755 à La Haye. La première, le 5 mai. La deuxième, le 9 mai. La troisième et la quatrième, le 19 mai. La cinquième, le 28 mai. Toutes sont anonymes, chacune étant "écrite de Montpellier par M. De **** à un de ses amis."

2 / La résistance de la Dame


La lettre du 5 mai 1755

Cette première lettre "met en scène" l'acte I de cette tragi-comédie. On y présente Madame de MOUSTELON, née Renée BONNIER, "fille et soeur des Présidents à la Cour des Aydes de Montpellier et cousine germaine de Madame la Duchesse de CHAUNES" (probablement, Anne BONNIER, duchesse de CHAULNES). On précise aussi qu'elle a été mariée à "M. MOUSTELON Conseiller à la Cour des Aides de Montpellier", cependant que son gendre, du nom de FABRE était "Greffier en Chef" à la même Cour des Aides. Le milieu professionnel est donc fortement typé, celui de cette Cour, réunie à la Chambre des comptes, qui traitait du contentieux des finances (d'origine fiscale ou domaniale) relevant de la Chambre du Trésor. On est proche du milieu parlementaire toulousain et on comprend mieux, dès lors, ces mots du chanoine SAUREL dans le livre déjà cité : "Les divers partisans de Jansénius, à Montpellier, du moins, appartenaient presque tous, de près ou de loin, à l'ordre judiciaire. Ceci n'a rien que de naturel : on sait que les parlements intervenaient à tout propos dans les questions religieuses, qui d'ordinaire aboutissaient à un refus de sacrements ou de sépulture ecclésiastique ; oubliant que le refus de sacrements ou de sépulture ecclésiastique en général, - détaché de toute circonstance, - est une matière spirituelle de laquelle le évêques ont le droit de connaître. Ces cours de justice, sous prétexte de défendre les libertés de l'église gallicane, niaient la toute-puissance et la grandeur suprême du Pontificat romain, pierre angulaire du catholicisme. En connaissant des affaires spirituelles, elles minaient le principe d'autorité et poussaient les esprits à l'insoumission."

Madame de MOUSTELON est aussi présentée comme une personne très chrétienne et malade (en note, il est précisé qu'elle est morte en 1755). Comme elle ne pouvait plus se lever de son lit, on dit qu'elle "la fit demander (la communion) à son curé pour satisfaire à son devoir paschal". Or, ce curé de la paroisse Notre-Dame, appelé GRANET, avait déjà refusé onze fois les sacrements à d'autres personnes. Il répondit au gendre de Mme de MOUSTELON qu'il devait d'abord consulter l'évêque et il ajouta que "sa belle-mère étoit une personne très-notée, qu'il ne lui porteroit point les sacremens qu'elle ne lui donna un billet de confession ou ne lui déclara le nom de son confesseur, et qu'elle ne fit une acceptation publique de la Bulle Unigenitus, en réparation du scandale qu'elle avoit donné.". Plus tard, le gendre indiqua au curé qu'elle ne voulait rien dire de plus et le curé l'informa que l'évêque irait voir la malade.

Dans l'après-midi, les quatre vicaires de la paroisse remirent leurs pouvoirs, les meubles furent retirés de la maison curiale et le curé abandonna les lieux : "La maison curiale fut démeublée dans un clin d'oeil, de sorte que le lendemain au matin il n'y avoit ni meubles, ni Curé, ni Vicaires". A partir de ce moment, il y eut des rumeurs contre la dame de MOUSTELON et contre "les Appellans". Il y eut ensuite une négociation avec M. de MOUSTELON. Il fut proposé que la malade déclare simplement qu'elle recevrait toutes les Bulles des papes, sans plus parler de la Bulle Unigenitus, mais cette tentative échoua puis le curé et les vicaires de Notre-Dame allèrent se réfugier à Avignon.

Dès lors, la malade s'adressa au Sénéchal qui rendit plusieurs ordonnances "tant pour constater l'évasion du Curé et de ses Vicaires, que pour s'assurer de l'impossibilité ou étoit la malade de se faire porter à l'Eglise pour y recevoir les Sacremens." Il rendit ensuite une ordonnance par laquelle il autorisait la malade à s'adresser à d'autres prêtres mais tous refusèrent. Par une nouvelle ordonnance, "on fit une seconde sommation à peine de saisie du temporel ; tous refusèrent encore". Il fallut alors s'adresser à l'évêque lui-même mais tous les notaires commis à cet effet refusèrent leur ministère. Du coup, "M. MOUSTELON fut obligé après bien des soins de prendre avec lui deux de ses neveux et d'aller faire cette invitation lui-même.". L'évêque répondit qu'il irait voir la malade et y alla, effectivement, le lendemain. C'est le sujet de la lettre suivante.

Premier feuillet de la lettre du 9 mai 1755

La lettre du 9 mai 1755

Comme on le voit dans ce premier feuillet, l'évêque part de chez lui à pied avec son aumonier, suivi de deux laquais, et il parcourt la ville après les vêpres, "tems ou le peuple est le plus désoeuvré" ; il passe par les rues les plus peuplées et il demande où est la maison de la malade (or, souligne l'auteur de la lettre, il la connaissait puisque M. MOUSTELON avait été son juge dans une affaire). Du coup, "le peuple se mit à le suivre" et on compte alors 3000 personnes quand il arrive devant la maison : "on y crioit, on y heurloit, et on faisoit mille imprécations contre la malade, sans qu'il donnât le moindre signe d'improbation".

Puis l'évêque rentre dans la maison, il fait sortir la famille de la chambre de la malade et, avec ses laquais, se met "à visiter dans tous les coins et recoins de la chambre, sous le lit, sous la banquette, derrière les chaises, derrière l'Ecran. Il ne laissa rien où il ne fouillat, les soubassemens étoient à la ruelle du lit appuyés à terre. Il y fit regarder pour voir s'y n'y auroit pas quelqu'un de caché. Une des fenêtres étoit fermée, il en fit tirer le rideau pour voir si personne ne s'étoit mis entre le chassis et le contrevent, il lui vint à l'esprit qu'on n'avoit pas visité sous le chevet du lit, les bras de ses laquais y furent employés, et la malade les sentit chercher jusque sous son lit de plume."

L'auteur de la lettre explique le pourquoi de cette étrange scène en disant que si les habitants de la maison avaient dit le moindre mot, les laquais de l'évêque auraient expliqué au peuple rassemblé qu'on avait troublé l'évêque dans ses fonctions spirituelles et qu'on l'avait insulté. on imagine alors le pire pour la maison et ses habitants. La suite de la scène est de la même eau. Il s'enferme avec la malade, place ses laquais en sentinelle devant la porte de la chambre et demande à la malade de se soumettre à la Bulle Unigenitus, ce qu'elle refuse.

"Nous l'avons tous reçue, dit-il, il faut bien qu'on s'y soumette, il faut bien que vous la receviés : recevés-là, et je vous ferai apporter les Sacremens : mais si vous persistez à ne pas vous déclarer pour elle, je vous l'ai dit, vous êtes en état de péché mortel : vous n'êtes pas Catholique, et vous serés damnée : la malade ne répondit à ce discours, qu'en disant, qu'elle se renfermoit dans le silence qui lui étoit prescrit par le Roi. Un procès verbal fut dressé, l'évêque sortit de la maison, retrouva la foule au dehors "qui l'accueillit avec ces hurlements, qui retentirent dans tous les environs" et monta dans une chaise à porteur sur les instances de M. de MOUSTELON "pour ne pas augmenter le tumulte".

La première lettre du 19 mai 1755

En parallèle à ces évènements, le procureur général du parlement de Toulouse ordonnait à l'évêque de pourvoir la paroisse Notre Dame de vicaires desservants. En effet, après la fuite du curé, l'évêque avait imaginé de nommer verbalement un prêtre pour les baptêmes, un autre pour les mariages et un troisième pour les enterrements et l'administration des sacrements aux malades. De plus, "on a vû ici pour la première fois, et tout le monde a été surpris du spectacle, des Moines faire les fonctions Curiales dans une grande Ville". Cependant, les notaires refusèrent de notifier l'arrêt, ce qui donna à l'évêque le temps de préparer sa réponse, à savoir que son organisation était suffisante pour les besoins de la population.

Le procureur général interjetta appel et, de son côté, la malade présenta au parlement une requête dans laquelle elle demanda qu'il lui fut permis de s'adresser de nouveau aux prêtres déjà nommés et, en cas de nouveau refus de leur part, de s'adresser à tout prêtre séculier ou régulier. Aussi, sur cette requête, le Parlement donna l'arrêt suivant, conformément aux conclusions du procureur général :

"Vû etc. La Cour a ordonné et ordonne que la Dame de MOUSTELON se retirera de nouveau par devant l'Evêque de Montpellier, et en cas d'absence, par devant les Vicaires Généraux pour les suppléer, et cependant sommer de faire cesser le scandale dans les vingt-quatre heures en lui faisant administrer les Sacrements dans ledit délai ... et en cas de refus dudit Evêque et des Vicaires Généraux déférer aux suppliques et sommations de laditte de MOUSTELON, notre ditte Cour a déclaré et déclare que ladite de MOUSTELON se trouve dans un de ces cas de necessité urgente dans lesquels les Canons authorisent tous les Prêtres indistinctement d'administrer les derniers Sacremens à un malade ; ce faisant a permis et permet à laditte de MOUSTELON de s'adresser à tout Prêtre séculier ou régulier résidant dans la Ville de Montpellier, y exerçant les Fonctions Sacerdotales de le requerir de lui administrer les Sacremens de Viatique et d'Extrême-Onction, auquel effet le Prêtre requis pourra se transporter dans l'Eglise de Notre-Dame pour y prendre le saint Ciboire, et les saintes Huiles ; enjoint notre dite Cour à tous Sacristains, Bedaux, Clers, ou autres personnes Ecclésiastiques ou Laïques détenteurs des clefs de la Sacristie, du Tabernacle ou des armoires ou sont les saintes Huiles, de les ouvrir audit Prêtre, et de lui fournir les ornemens convenables et autres choses nécessaires pour administrer les Sacremens à ladite MOUSTELON en la forme accoutumée, et avec la décence requise, à quoi faire ils seront contraints par toutes voyes et par corps ; et néanmoins dans le cas de refus desdits détenteurs, pourra ledit Prêtre s'adresser au Sacristain de telle Eglise qui sera indiquée par ladite MOUSTELON, pour obtenir le St. Ciboire, les Saintes Huiles, et tous les ornemens nécessaires à l'effet de ladite administration, etc. Prononcé à Toulouse le 21 Avril 1755."

Cette fois les notaires notifièrent l'arrêt car sinon ils auraient dû payer une amende de 500 livres en cas de refus. Finalement l'évêque répondit qu'il irait chez la malade. Effectivement, les 24 heures expirées, il y alla mais lui tint les mêmes propos que la première fois puis il sortit. "Il étoit venu sans bruit, il se rétira de même, faisant bien voir par-là qu'il pouvoit à son gré arrêter ou exciter les émotions populaires".

Avant cela, il avait convoqué son conseil et y avait appelé les supérieurs des maisons régulières pour leur demander avis. C'est alors que le père MATELIN, commandeur du couvent de la Mercy dit : "on ne peut communier la malade sans hostie, il n'y auroit qu'à les faire toutes consommer". Qui le croirait ! Ce moyen qui auroit dû saisir d'horreur toute l'assemblée, fut accueilli par l'Evêque, délibéré, ordonné ; les Vicaires-Généraux partent sur le champ, et vont en porter l'ordre dans les différentes Eglises, dans trois seulement on ne voulut point consentir à ce projet sacrilège ; encore les Desservans de l'une de ces trois Eglises y prirent-ils quelque part en s'absentant, et en emportant avec eux la clef du tabernacle. Le Curé de St. Pierre auroit certainement éloigné ce scandale de sa Paroisse, ainsi qu'il l'a protesté ; mais il n'étoit point à Montpellier : le nommé ROUËL, l'un de ses Vicaires, à qui l'un des Vicaires-Généraux, (l'Abbé de LA PRUNAREDE) en signifia l'ordre, ne voulut ni l'exécuter, ni même croire que cet ordre fut sérieux avant d'en avoir parlé à l'Evêque. Celui-ci le lui confirma (...) Il y avoit une si grande quantité d'hostie dans le Ciboire de l'Eglise des Capucins, que la consommation dura 9 minutes, et que le Pere DANIËL, se trouva mal après les avoir consommées. La même chose arriva au Vicaire de St. Pierre pour en avoir consommé au moins trois cens, ce qui a donné lieu aux Gens de la Religion de tenir des propos sur nos SS. Mystères que j'aurois horreur de vous rapporter (...)"

L'auteur de la lettre continue ainsi à donner force détails à cet épisode, d'abord dans la communauté de Sainte Ursule puis dans l'église des religieuses de Sainte Catherine. Cependant, ces évènements apparaissent si rocambolesque que l'on se demande s'il n'ont pas été inventés mais, d'un autre côté, les précisions données plaident en faveur d'une information particulièrement bien faite.

La seconde lettre du 19 mai 1755

"Nous en sommes restés à l'événement incroyable de la consommation des hosties. Quand toutes les mesures furent prises pour qu'il n'en resta pas une seule dans toutes les Eglises. L'Evêque et son Conseil se crurent en sureté (...)"

Cependant, le bruit courait que c'était de l'église de l'hospice que la malade pourrait être communiéee. Un des vicaires de l'évêque y alla. Il vit les desservants pendant une heure et demie mais sans s'apercevoir qu'il y avait dans cette maison "un autre Prêtre simple et droit. Sa simplicité même fut ce qui le lui cacha. C'était celui que Dieu avoit choisi pour faire cesser le scandale (...). On lui signifia l'Arrêt, et la commission que tant d'autres avoient refusé, il l'accepta avec joie."

Il y eut, en même temps, un autre évènement qui, selon l'auteur de la lettre, montre l'état de dégradation du clergé de Montpellier. Parmi ces prêtres, il y avait un dénommé POUJOL; Pour lui, "les Appellans sont pires à ses yeux que les Lutheriens, les Calvinistes, les Turcs (...). Vous avez vû que M. le Juge Mage étoit commis pour faire exécuter l'arrêt, la commission portoit qu'avant de recourir à d'autres Eglises, il iroit à celle de Notre-Dame, pour remplir les conditions que l'arrêt prescrivoit, ce Prêtre lui précéda (...). M. le Juge Mage y arrive, et sur le champ on fait courir le bruit dans les hâles que c'est à M. POUJOL qu'il en veut. A ce bruit le feu de la sédition s'allume, tous ceux qu'il a séduits accoururent à l'Eglise (...) Les uns viennent avec des pierres, les autres avec des couteaux, les autres avec des cendres, c'étoit pour en jetter dans les yeux de M. de Juge Mage, et de quiconque voudroit toucher à ce défenseur de la foi. Ils s'animoient, et ils crioient que M. POUJOL n'avoit rien à craindre, qu'ils étoient là pour le défendre, quand il devroit leur en couter la vie. Il y eut dans l'Eglise des hurlements, des juremens, et on la profana par mille blasphêmes contre Dieu, et par mille imprécations contre la malade (...)" Pour calmer la foule, il fallut remplir la place de soldats armés vis-à-vis de l'église et un prédicateur promit qu'on ne ferait rien à M. POUJOL. Cette émeute dans l'église dura trois heures ... "et si l'on demande ce que faisoit l'Evêque dans tout ce tems-là, il étoit tranquille chez lui. Apparemment sur le principe que ce n'étoit qu'un zèle Catholique (...)".

Le Juge Mage fit alors ses demandes pour obtenir les objets de culte nécessaires à la communion. Faute de ciboire et de clé des saintes huiles, il dût se contenter du dais et des ornements et encore il lui fallut menacer de faire brûler les effets du sacristain s'il refusait de les délivrer. Le dais et les autres ornements furent portés à la chapelle du Présidial par des huissiers, accompagnés des cavaliers de la maréchaussée.

3 / La sortie de l'Abbé


"M. EUZET, c'est le nom du Prêtre qui devoit communier Madame de MOUSTELON, se rendit à la Chapelle du Palais par un autre chemin, il dit la Messe, consacra une Hostie pour la malade, après la Messe il la lui porta, le dais étoit entouré par des Cavaliers de la Marechaussée, les Soldats du Régiment de Navarre bordoient le chemin, et écartoient la populace ; les honneurs militaires inspiroient le respect à tous les spectateurs, et l'on admira la Majesté de cette cérémonie."

La suite de la lettre fait part de la colère de l'évêque quand il sut ce qui s'était passé. L'auteur revient aussi en arrière en évoquant la politique faite par l'évêque de CHARANCY poursuivie ensuite par l'évêque de VILLENEUVE, qu'il stigmatise ainsi :

Extrait de l'avant-dernier feuillet de la 2ème lettre du 19 mai 1755

La lettre du 28 mai 1755

Cette dernière lettre est une virulente critique d'un écrit intitulé :"Relation exacte des troubles arrivés à Montpellier à l'occasion de quelques refus de sacremens" et qui est effectivement rappelé dans le livre évoqué plus haut du chanoine SAUREL. L'auteur de la lettre ne fait pas dans la nuance : "Ce n'est qu'un tissu d'injures attroces, des calomnies insignes, des mensonges grossiers. Ce Libelle : Car il n'y a guère d'Ouvrages qui ait mieux mérité ce nom, est-il enfin que quoiqu'imprimé à Avignon, où l'on imprime tout sans beaucoup de peine, on n'a osé le marquer au Frontispice." Evidemment, la "Relation" donne une toute autre interprétation des évènements. S'il y a eu une émeute devant la maison de Madame de MOUSTELON, c'était le peuple catholique, 4000 personnes "qui fremissoient et qui disoient, vive Mgr, Mgr., n'abandonne pas l'Eglise". Sur ce qui s'est passé dans l'église Notre-Dame au sujet du sieur POUJOL, c'était parce que le peuple voulait le défendre, etc. Et voici ce qui est dit quant à la communion portée par l'abbé EUZET :

"Il dit que "l'Evêque informé du sacrilége qu'on alloit consommer" (il parle du viatique qu'on porte à Mad. de MOUSTELON :) "Se seroit fait porter, malgré sa goûte, sur le chemin pour prendre le corps de son divin Maître, des mains de ce malheureux Iscariote. C'est ainsi qu'il appelle Mr. EUZET, et qu'il raconte le projet dont je vous ai parlé en le déguisant comme il déguise tout : Et il nous dit la raison qui empêcha l'Evêque de l'exécuter. c'est "qu'il craignit d'y arriver trop tard ; et qu'il craignit de devenir la cause innocente du massacre des Jansenistes ;"

La lettre critique ensuite l'argument du "libelle" selon lequel les jansénistes avaient préparé un scandale pour la quinzaine de Paques. Il fallait pour cela que quelqu'un joue le malade, avale quantité de remèdes et s'affaiblisse au point que les médecins puissent attester que cette victime ne puisse sans risques se faire porter à l'église pour y recevoir les sacrements. En deux mots, la "Relation" fait comprendre que les Appelants avaient voulu ce refus de sacrements. Finalement, ce dont il les accuse, "c'est de n'avoir aucune liaison avec Rome. Mais en récompense d'en avoir beaucoup avec Paris". Au contraire, les Appelans affirment qu'ils sont catholiques, apostoliques et Romains

Quant au style du "libelle" et de sa critique, on peut s'en faire une idée en reprenant la phrase suivante : "Je ne vous dirai plus qu'un trait de cet Auteur qui termine enfin son libelle par une des plus insignes extravagances, c'est de comparer M. le Juge-Mage à Pilate, comme il avoit déja comparé Mr. EUZET à Judas, et de dire qu'en communiant Madame de MOUSTELON, on avoit imité l'appareil et les circonstances du Calvaire ; à quoi il ajoute hardiment, et sans crainte d'être démenti par tous ceux qui y étoient, que Madame de MOUSTELON avoit été communiée sans prieres et sans cérémonie."

La lettre se termine en indiquant que l'évêque a nié la consommation des hosties à son arrivée à Paris, ce que ne manque pas de critiquer l'auteur de la lettre, de la manière suivante : "Si le consommation des hosties n'eut été faite que dans une ou deux Eglises, et en présence d'un petit nombre de témoins, on pourroit peut-être réussir à les gagner, mais cette action s'est passée au vû et au sçû de toute une Ville ; le moyen d'anéantir ce témoignage ; tout le monde à la Vérité, n'a pas été présent à la consommation, mais tout le monde en a vu la marque certaine, les lampes éteintes dans les Eglises. Que ceux qui ont donné ce conseil, et celui qui l'a suivi essayent de faire taire quarante mille personnes, et ils verront l'inutilité de leurs efforts."


4 / La médiation du Maire de Montpellier


Dans les archives de l'Intendance, on trouve une note qui relate les évènements qui se sont passés à Montpellier à cette occasion. C'est grâce à cette note que l'on voit que le maire de la ville était aussi intervenu : "Pendant ce temps et dans le cours de la matinée, M. CAMBACERÉS maire de la ville entama une négociation pour tacher de concilier les esprits et procurer l'administration des sacrements demandés par la dame MOUSTELON ; il proposa au mary de cette dame quelle declaroit sa soumission a toutes les Bulles des Papes en general acceptées par le corps des Pasteurs. M. MOUSTELON rejeta cette proposition vu que sa femme pensoit comme luy, et quil se feroit plutot couper le poing que de faire une pareille soumission. M. CAMBACERÉS trouva a ce qu'on dit cette façon de penser extraordinaire et le témoigna vivement à a M. MOUSTELON." (Note non signée envoyée le 04.04.1755 à SAINT PRIEST et au Maréchal de RICHELIEU, intitulée : "Relation exacte de ce qui s'est passé à Montpellier les 2 et 3 avril 1755 au sujet de l'administration des derniers sacremens demandés par Mad MOUSTELON femme de M. MOUSTELON conseiller a la Cour des aides").

5 / L'Intendant aux ordres du Roi


L'Intendant demande des ordres à Versailles
(lettre du 05.12.1755)

Dans cette lettre du 05.12.1755, l'Intendant du Languedoc (SAINT-PRIEST) informe le secrétaire d'Etat à la Maison du Roi (SAINT-FLORENTIN) que les defenseurs du sieur EUZET "se proposent d'adresser en son nom une requeste a M. le Procureur general du Parlement de Toulouse pour demander que cette Cour le prenne sous sa protection". Il pense que le Parlement pourrait interdire aux administrateurs de l'hôpital de se dessaisir de cet ecclésiastique. Aussi, l'Intendant demande des ordres pour obliger l'abbé EUZET à se retirer dans un couvent de Gignac ou de Clermont (l'Hérault) et il souhaite que le Roi puisse lui prescrire la conduite à tenir "dans le cas où le Parlement répondroit favorablement à la requeste."

En fait, le dossier montre qu'il y avait eu une série de contacts entre l'Intendant et la Maison du Roi. L'Intendant avait reçu l'abbé EUZET pour lui signifier les intentions royales. Ainsi, le 3 décembre, SAINT-PRIEST décrivait à SAINT-FLORENTIN l'entrevue qu'il avait eu avec l'abbé EUZET. Ce dernier lui avait témoigné "que le diable le persécutoit et le maltraitoit". L'Intendant ajoutait que son témoignage ne lui laissait aucun doute "qu'il n'eut l'esprit frappé" et qu'il avait "un grain considérable de folie". L'abbé avait aussi exprimé "sa grande répugnance pour Gignac" mais avait ajouté "qu'il consentiroit de se retirer aux Dominicains de Clermont de Lodève". Il avait dû partir à la suite de cette entrevue mais dés le début janvier 1756, l'Intendant écrivait : "Il y a huit jours que le sieur EUZET est revenu à l'hôpital. Il y dit la messe hier et assista aux vepres l'apresdiné avec les pretres. Sa chambre est dans le quartier des incurables au second étage." Le 16.02.1756, l'Intendant indiquait à SAINT-FLORENTIN qu'il avait perquisitionné à l'hôpital et qu'il avait fait chercher l'abbé EUZET qui s'y trouvait. Il le vit une deuxième fois et lui renouvella les instructions royales en le menaçant de le contraindre, si nécessaire. L'abbé EUZET lui "demanda quelques jours pour se disposer à partir". L'Intendant lui donna quatre jours "au bout desquels il a disparu une seconde fois de l'hopital." Deux ans plus tard, le 07.04.1758, une lettre de SAINT-FLORENTIN à SAINT-PRIEST nous permet de savoir que l'abbé EUZET demeurait caché et qu'il n'avait donc toujours pas obéi aux ordres.




6 / Les remontrances du Parlement de Toulouse


La page de garde des "remontrances"

Le 23 février 1756, paraît un petit livre intitulé : "Remontrances du parlement de Toulouse au Roi, au sujet des ordres notifiés au sieur EUZET par M. l'Intendant de Languedoc". Dans ce document, les parlementaires rappelent au roi qu'en 1755, le Parlement de Toulouse lui avait signalé la conduite des évêques de Saint-Pons et de Montpellier, afin de les sanctionner. Un an plus tard, ils écrivent : "Telle étoit, Sire, l'attente de votre Parlement, lorsque le Sieur de SAINT-PRIEST (1), Commissaire départi dans cette Province, en exécution des ordres qu'il avoit reçus de M. le Comte de SAINT-FLORENTIN (2), enjoignit au Sieur EUZET, Pauvre de l'Hôpital Général de Montpellier, d'abandonner cet azile, et d'aller dans le Couvent des Cordeliers de Gignac, ou dans telle autre Maison Religieuse qui seroit agréée par Votre Majesté.

Le Sieur EUZET est ce Prêtre, Sire, qui, en administrant les Sacrements à la Dame de MOUSTELON après l'Arrêt du 21 Avril 1755 épargna à la Grand-Chambre la nécesité de Sévir directement contre le premier Moteur d'un refus scandaleux, schismatique et fondé uniquement sur la soumission de cette Dame à la Déclaration du 20 Octobre 1754.

L'innocence du Sieur EUZET, ses infirmités, son indigence, et les obstacles qu'une punition non méritée pouvoit apporter à l'exécution d'une Loi absolument nécessaire au repos de cette Province et de tout le Royaume, furent le sujet des représentations que le Premier Président de votre Parlement fit à M. le Chancelier et à M. le Comte de SAINT-FLORENTIN.

(...) Votre Majesté prévenue que le Sieur EUZET, par l'aliénation de son esprit, étoit un sujet de scandale dans la Ville de Montpellier, et que l'honneur de la Religion exigeoit qu'il en fût éloigné, persistoit à vouloir qu'il se retirât dans un Couvent à Gignac ou à Clermont de Lodève : mais en même tems, instruite de sa misére, Elle lui faisoit assurer que sa pension y seroit exactement payée.

(...) Et tandis que le Sieur de Saint-Priest recevoit à Montpellier les nouveaux ordres annoncés dans la Réponse de M. le Comte de SAINT-FLORENTIN, Nous apprenions à Toulouse que le Sieur EUZET s'imagine depuis long-tems être maltraité pendant la nuit par des ennemis invisibles, et que lorsqu'on lui parle sur cette matière, il la fuit volontiers : que cette infirmité qui ne nuit qu'à lui seul, le détermina à quitter une Cure dont il étoit pourvû, et à se retirer dans l'Hôpital Général de Montpellier où il fut reçu en 1750 : qu'il y vécut en repos jusqu'à l'affaire de la Dame de MOUSTELON : que sa maladie n'a reçu aucun accroissement des persécutions qu'il a essuyées depuis cette époque de la part de ses ennemis visibles : que la pureté de ses moeurs, la régularité de sa conduite, le bon sens qui règne dans ses discours, la charité qui anime ses actions, les services qu'il rend dans l'Hôpital, les secours spirituels qu'il donne aux Pauvres, sa capacité, sa candeur, sa modestie font autant de sujets d'édification ; et lui ont attiré l'amitié, l'estime et le respect de tous ceux qui en sont les Témoins.

Tel est ce Prêtre, Sire, qu'on a osé vous représenter comme un Sujet de scandale, et comme l'opprobe de la Religion. Si Votre Majesté révoquoit en doute les faits que nous venons de rapporter, d'après les éclaircissemens que nous avons reçus, nous la supplierions très-humblement de faire interroger les vingt-quatre Intendans, Recteurs et Sindics qui sont à la tête de l'Hôpital Général de Montpellier, les Prêtres qui desservent cette Maison, et que le Sieur EUZET soulage dans les fonctions de leur Ministére, les Incurables qu'il console par des lectures de piété et par des exhortations édifiantes, les Enfans qu'il instruit des premières vérités de la Religion, et dont les bouches ingénues ignorent l'art funeste de la dissimulation et du mensonge, huit cens personnes enfin qui résident dans cet Hôpital, à l'exception seulement de celles que la crainte ou des ménagemens mal-entendus pourroient porter à déguiser la vérité : Heureusement ces ames lâches et timides y sont en petit nombre.

Daignez, Sire, peser dans la balance de votre Justice les attestations que tous ces Témoins irréprochables sont prêts à donner en faveur du sieur EUZET, et l'accusation intentée sans preuves contre lui."
A la suite, les parlementaires demandent au roi de se rendre compte des vrais motifs des accusateurs, en particulier de l'évêque qui "dès le commencement de 1755 enfraignit et fit enfraindre par ses inférieurs la Loi que vous veniez de donner à la fin de 1754. qui, pour engager la Dame de MOUSTELON à vous désobéir, lui soutint que le Roi ne pouvoit pas défendre de parler en matière de Religion ; que la Loi du Prince en fait de Religion n'oblige pas ; que si elle étoit en Angleterre, elle ne suivroit pas la Loi du Prince."

Les parlementaires rappellent alors dans leur argumentataire les faits et les ordres de Mgr de VILLENEUVE : le refus des sacrements, l'évasion du curé et des vicaires de l'église Notre-Dame-des-Tables, le refus d'appliquer les déclarations royales de 1686 et de 1754, la suppression de l'exposition du Saint Sacrement, la consommation de toutes les hosties, le dépôt chez lui des saintes huiles, son parcours à pied dans les rues les plus fréquentées de la ville, suivi par une foule contenue seulement par la troupe, bref un évêque qui "entreprit de donner des bornes (à la puissance royale) tandis qu'il n'en connoissoit point à la sienne".

Et les parlementaires ajoutent : "On a laissé le sieur EUZET tranquille jusqu'en 1755. C'est dans cette année que la persécution a commencé contre lui. C'est donc en 1755, qu'il faut chercher la cause de cette persécution. Ses infirmités n'étoient pas augmentées ; il a toujours été, et il est encore aujourd'hui dans le même état où il étoit en 1750 (...) Les intérêts de la Religion et les infirmités du sieur EUZET ne sont donc que des prétextes frivoles. Mais en 1755, le sieur EUZET administra les Sacremens à la Dame de MOUSTELON, contre les défenses du sieur Evêque de Montpellier qui lui étoient inconnues. Jusqu'alors ce pauvre Prêtre n'avoit été pour le Prélat qu'un objet de mépris : dans ce moment il devint un objet d'indignation et de fureur. un atôme oublié dans le fonds d'un Hôpital résister à son Evêque, rompre les mesures les mieux concertées, faire avorter des desseins importans dont on publioit déjà le succès comme infaillible, obéir aux Loix du Prince, exécuter les Arrêts du Parlement qui n'étoient eux-mêmes que l'exécution de ces Loix, et une exécution mitigée par la modération et la prudence, assurer la souveraineté de l'autorité Royale contre les entreprises d'un Evêque rebelle, rendre à une Ville considérable le calme et la paix qu'on en avoit bannis : Quel crime énorme ! c'est celui du sieur EUZET. Il ne donne point de scandale aujourd'hui : mais il en a donné, lorsqu'il a fait cesser celui que les contraventions à la Déclaration du 20 Octobre 1754, et le refus des Sacremens qui en fut la suite, avoient occasionné."

"Permettrez-vous, SIRE, qu'on se serve de votre Puissance absolue, pour punir une action qui, loin de mériter des châtimens, seroit digne de récompenses ? Permettrez-vous que le sieur Evêque de Montpellier, pour persécuter le sieur EUZET, abuse aujourd'hui de cette autorité si respectable qu'il a méprisée, lorsqu'elle l'auroit empêché de persécuter la Dame de MOUSTELON ? En réléguant le sieur EUZET dans une Maison Religieuse loin de Montpellier, VOTRE MAJESTÉ auroit la bonté de pourvoir à son indigence : mais qu'a-t'il fait pour être privé de la liberté que la nature donne à tous les hommes, et dont tous vos sujets jouissent ? Pourroit-il espérer de trouver dans un Cloître les secours que son état lui rend nécessaires ? Il les trouve dans l'azile où la providence l'a conduit : qu'a-t-il fait pour en être chassé ? La moindre peine annonceroit qu'il auroit encouru votre disgrace ; qu'a-t-il fait pour la mériter ? Depuis la Déclaration de 1754, aucun Ecclésiastique n'a été puni pour avoir exécuté les Arrêts de vos Parlemens : par quelle fatalité le sieur EUZET le seroit-il ?

C'est un de vos Sujets, SIRE ; c'est un Prêtre, il est pauvre et malade, sans autre appui que ses vertus, poursuivi par un Ennemi puissant et redoutable : que de Titres, pour qu'il ose prétendre à votre protection ! Votre Parlement pourroit-il craindre de ne pas réussir ou de vous déplaire, en portant jusqu'à vous les cris de l'innocent persécuté ?

Mais, SIRE, de plus grands objets animent votre zèle. Les coups dirigés en apparence contre le seul EUZET portent directement sur le droit de votre Couronne et le repos de vos Peuples.

La suite de la remontrance développe ce même argument. Les critiques contre ce prêtre sont, en fait, des critiques contre le roi. Accepter une sanction contre ce prêtre, c'est montrer que l'évêque l'emporte sur le roi : "dans le sein de vos Etats, au milieu de vos Sujets, s'élève une puissance rivale de la votre", disent les parlementaires. Finalement, l'objectif recherché dans cette affaire est de priver le souverain du droit de faire observer les lois de l'Eglise, de s'opposer au schisme, etc. C'est pourquoi le parlement de Toulouse s'est opposé aux ordres adressés à SAINT-PRIEST (1).

"A peine ces Ordres ont été connus à Montpellier, qu'un cri formé de mille cris a fait retentir dans cette ville : EUZET a déplû, puisqu'il est puni." On n'a eu garde de rapporter son exil à ses infirmités : Le sieur Evêque de Montpellier seroit bien fâché qu'on l'attribuât à cette cause. L'Autorité Royale conserveroit tous ses droits : La Puissance ecclésiastique n'étendroit pas les siens : EUZET, l'innocent EUZET n'en seroit pas moins-opprimé ; mais il le seroit à pure perte pour celui qui l'opprime. On l'a dit, SIRE ; qu'il nous (soit) permis de le répéter dans cette importante occasion : La Loi, les Arrêts qu'elle dicte, et celui qui les exécute, forment un tout indivisible qui ne peut subsister que par une protection égale à l'égard des parties qui le composent. Punir EUZET, ce seroit condamner l'Arrêt du vingt-un Avril 1755, que VOTRE MAJESTÉ n'a pas désapprouvé ; ce seroit anéantir tous les heureux effets que cet Arrêt a produits dans ce vaste Ressort, ôter à la Déclaration de 1754 toute son efficacité (...)"

La lettre se termine par un appel au roi pour que la "Grand'Chambre" du Parlement continue la procédure contre l'évêque de Saint-Pons et permette de "procéder suivant les formes prescrites par les Ordonnances sur les Faits concernant le sieur Evêque de Montpellier". Bref, les parlementaires ne demandaient pas seulement que l'abbé EUZET ne soit pas puni mais il fallait aussi punir l'évêque de Montpellier car, concluaient-ils : "Votre Clémence enhardit à de nouveaux délits : il est temps de laisser agir VOTRE Justice." (23.02.1756)


7 / L'arrêt du Parlement de Toulouse


C'est pourtant un arrêt de la Grand'chambre de ce même parlement de Toulouse qui interdit la diffusion de ces "remontrances", le 30.03.1756 : "Disant qu'il paroit un imprimé sans nom d'imprimeur ny permission ayant pour titre, remontrances du parlement de Toulouse au Roy au sujet des ordres notifiés au sr EUZET par M. l'Intendant de Languedoc 1756, que cette impression sur livre n'est pas moins répréhensible par la publicité qu'elle donne à des représentations qui ne doivent être données que du souverain monarque auquel elles ont été adressées que par contravention aux reglemens de l'imprimerie et aux arrêts de la cour. C'est pourquoi requiert la cour ordonner que ledit imprimé sera supprimé et que deffence soient faites de le vendre et débiter."

Dans la délibération, il est précisé que la cour "enjoint à tous ceux qui en ont des exemplaires de les raporter et remettre incessament dans les greffes de la cour pour y être pareillement supprimé" ; suivait encore l'interdiction faite à toute personne "d'en garder, distribuer, vendre, débiter ou colporter aucun exemplaire sous les peines de droit"

On peut noter qu'il n'est pas écrit que le texte condamné était un faux fabriqué en dehors du parlement. Faut-il en conclure qu'il y a eu pression de la part des autorités ou bien qu'il y avait des 'courants" contraires au sein même du parlement ou les deux choses à la fois ?

Quelle qu'en soit la motivation, cet arrêt semble marquer la fin de la fronde parlementaire soulevée dans cette affaire. Les archives de l'Intendance montrent ensuite l'échec du "parti janséniste" et, en conséquence, la punition infligée à l'abbé EUZET qui a, de fait, joué le rôle du "lampiste".


8 / Qui était donc cet abbé EUZET ?


Comme les documents ci-dessus n'indiquent jamais le prénom de l'abbé en question, il est difficile d'avoir une complète certitude pour dire qui était cet abbé EUZET. Cependant, compte tenu de l'époque, il est plus que probable qu'il s'agisse du fils de Jean Baptiste EUZET (notaire royal de Viols-le-Fort, près de Montpellier) et de Marthe ROUVEYROL. Né le 22.10.1696, à Viols-le-Fort, prêtre du diocèse, il a d'abord été curé de Pégairolles-de-Buèges ; nommé le 22.12.1721, il en démissionna, le 10.08.1725. On le retrouve ensuite simple prêtre à Saint-Martin-de-Londres en septembre 1738, puis vicaire de Viols-le-Fort, en novembre de la même année. Il est encore signalé comme prêtre à Montarnaud, à partir de février 1740, puis l'évêque de Montpellier, Georges-Lazare BERGER de CHARANCY, le nomme vicaire de cette paroisse pour un an, à compter du 15.02.1741. Cependant, après sa nomination, il ne signe qu'un seul acte dans le registre paroissial, le 19.02.1741, et son nom n'apparaît plus par la suite. Il est vicaire de la paroisse d'Aniane au moins du 07.11.1742 (premier acte où il est signalé) et le 26.02.1743 (dernier acte où il est signalé). Voilà tout ce que l'on sait sur la carrière de l'abbé Joseph EUZET.

Les remontrances parlementaires de février 1756 montrent qu'il avait dû "quitter une Cure dont il étoit pourvû" et se retirer à l'hôpital général de Montpellier pour des raisons de santé "où il fut reçu en 1750". Si l'année indiquée est exacte, il reste encore à trouver ce qu'il a fait entre février 1743 et 1750. Or, une source épiscopale indique qu'il fut l'un des ecclésiastiques qui se sont opposés à la Bulle papale dite Unigenitus et qui ont été nommés des "appelants", parce qu'ils ont appelé à la tenue d'un concile général sur cette question ; ce document est une liste des prêtres du diocèse de Montpellier qui ont effectivement appelé au futur concile ; parmi eux, il y a Joseph EUZET qui est ainsi noté : "M. Joseph EUZET, secondaire à Viols a signé le formulaire pendant la vacance". D'après un ajout au crayon sur le document, il s'agirait d'une liste dressée en 1739 par Georges-Lazare BERGER de CHARANCY (évêque de Montpellier de 1738 à 1748); On peut penser que cette signature a eu lieu en 1738, quand il est indiqué comme vicaire sur le registre paroissial de Viols-le-Fort et il a probablement signé le formulaire pour pouvoir assumer ces fonctions mais cela veut dire aussi qu'il était proche des idées jansénistes puisqu'il faisait partie des appelants.

Dans ces conditions, la mise à l'écart dans l'hôpital général de Montpellier peut avoir eu pour raison, non seulement son état de santé mais aussi ses idées, celles-ci étant connues des gens de robe montpelliérains qui ont fait appel à lui, en 1755, pour apporter la communion à la janséniste de MOUSTELON. Pour se venger, l'évêque de Montpellier a ordonné qu'il quitte Montpellier et soit reclus dans un couvent de Gignac ou de Clermont-l'Hérault ; après l'intervention du parlement de Toulouse, le roi a tranché en décidant qu'il devait non seulement quitter la ville de Montpellier mais aussi le diocèse de Montpellier. Par contre, il a levé l'obligation qui lui était faite de se retirer dans un couvent, à Gignac ou à Lodève. Cette position a été prise dans une lettre du 07.04.1758. Jusque là, l'abbé EUZET était resté caché. Il a ensuite disparu et nulle pièce ne signale le lieu où il a fini sa vie.

9 / Conclusions


En fait, la lecture de la lettre du 07.04.1758, signée à Versailles par le comte de SAINT-FLORENTIN et adressée à l'intendant du Langudoc, le vicomte de SAINT-PRIEST, montre un subtil équilibre diplomatique entre la position des jansénistes et celle du pouvoir civil et religieux officiel. Cette lettre mérite d'être reprise dans son intégralité car elle termine définitivement ce dossier : "Le S. EUZET, Monsieur, m'a fait faire depuis quelque tems des représentations sur les ordres que vous lui avés notifiés et qui l'ont mis dans la necessité de se tenir caché depuis. M. l'Eveque de Montpellier a qui j'en ai ecrit apres avoir d'abord fait quelque difficultés consent que la liberté soit rendûe à cet eclesiastique à condition cependant qu'il ne mettra le pied ni dans la ville de Montpellier ni dans tout le Diocese. Cette condition me paroit juste et le Sr EUZET s'y etoit même soumis d'avance. Je vous prie donc de lui faire dire que le Roi a bien voulu revoquer les ordres que vous lui aviés donnés de la part de Sa Mté. ; qu'il peut en toute sureté aller partout ou il voudra à l'exception du Diocese de Montpellier ou Sa Mté. lui defend d'entrer ; et qu'elle est disposée à le punir severement S'il contrevient à cette deffense. Vous voudrés bien S'il vous plait tenir la main à ce qu'il s'y conforme exactement, et en cas qu'il vint à y désobéir, m'en donner avis sur le champ. On ne peut Monsieur, vous honorer plus parfaitement que je le fais." (signé FLORENTIN)

Manifestement, le pouvoir absolu du roi était tempéré par les corps intermédiaires. Ainsi, l'abbé EUZET avait pu rester caché de 1755 à 1758, alors que l'intendant, de SAINT-PRIEST, disposait de toute la force publique à Montpellier ! De plus, dans la lettre de 1758, SAINT-FLORENTIN demande à l'intendant de prévenir l'abbé EUZET des nouvelles dispositions royales, ce qui suppose que le lieu de la cachette était parfaitement connu ! Manifestement, entre 1755 et 1758, on a fermé les yeux sur la situation. Pourquoi ? Le dossier de l'intendance donne probablement la clé quand, à l'occasion d'une entrevue entre le président de l'hôpital et l'intendant (en 1755), il est dit que c'est "le président de la Cour des Aydes qui préside cette année le bureau de l'hôpital". Il a dû y avoir un accord entre les deux parties pour étouffer l'affaire. Trois ans après, on pouvait trouver plus facilement une solution qui ne fasse pas perdre la face au roi et à l'évêque. En plus de cette "intelligence diplomatique", cette situation montre aussi l'influence, si ce n'est le pouvoir, de ces gens de robe, à Toulouse comme à Montpellier. Le roi devait composer avec eux, potentats locaux qui faisaient de l'ombre à l'ordre parisien. Plus tard, c'est bien ce que comprirent les révolutionnaires qui supprimèrent tous ces corps intermédiaires.

(à compléter)


10 / Références



Vie de Mgr de VILLENEUVE, évêque de Viviers et de Montpellier, par l'Abbé Ferdinand SAUREL, chanoine honoraire de Montpellier, officier d'académie, correspondant du ministère de l'instruction publique. membre titulaire de l'académie des sciences et lettres de Montpellier et de la société archéologique de la même ville, etc. - Montpellier chez les principaux libraires ; Avignon, chez J. ROUMANILLE, 19, rue Saint-Agricol.1889. Le second portrait de l'évêque est dans ce livre.

Le premier portrait de Mgr de VILLENEUVE était, à l'origine, à l'évêché de Montpellier. Actuellement, il se trouve au château de Lavérune, dans l'Hérault (photo prise par Mme Chantal FÉDIÈRE).

Lettres (anonymes) et Remontrances du Parlement de Toulouse : cote 30824, à la Médiathèque centrale d'agglomération, Emile ZOLA, 240, rue de l'Acropole, à Montpellier.

Inventaire sommaire des Archives départementales de l'Hérault antérieures à 1790. Archives civiles. Tome V, rédigé par Marcel GOURON, Conservateur en chef, Directeur des Services d'Archives du Département. Intendance de Languedoc. Subdélégation de l'Intendance. Direction des finances. Gouvernement militaire général de Languedoc. :
- C 4710 : relation sur l'affaire de Madame de MOUSTELON (écrit MONSTELON), femme du conseiller à la cour des Aides ; intervention du maire CAMBACÉRÈS ; le curé de Notre-Dame, GRANET, et ses vicaires décampent ; procès, arrêt du parlement de requêrir n'importe quel prêtre.
Et, dans le même inventaire, d'autres affaires donnent le contexte, entre 1740 et 1770, environ :
- C 4706 : nécrologe ou table qui représente les enterrements de personnes privées de sacrements dans le diocèse à cause du refus de recevoir la bulle Unigenitus (1740-1745). A consulter.
- C 4707 : lettres pastorales de l'évêque de Montpellier relatives à divers problèmes posés par le jansénisme, imprimées. A consulter.
- C 4708 : enterrement de demoiselle JAUFRET, jansénisme (1745) ; mémoire de demoiselle LAUSSEL contre l'évêque de Montpellier, relatif à l'enterrement ignominieux de son frère, prêtre de cette ville (1746) ; délibération du présidial et sénéchal priant l'intendant de réglementer les convois de ceux qui refusent de se soumettre à la bulle Unigenitus ; édition de Lettres étrangères écrites à feu de LA PARISIÈRE, évêque de Nîmes, saisies à Lyon et transportées à l'évêché de Montpellier, après la mort de CHARENCEY les ballots sont retirés par l'intendant (1748). A consulter.
- C 4709 : bousculades et cris lors de l'enterrement de la dame de SABATIER, janséniste, veuve d'un correcteur en la chambre des Comptes, à Notre-Dame-des-Tables, le 8 décembre 1748 ; arrestations, enquêtes et procédures ; le peuple criait : "A la voirie les jansénistes". A consulter.
- C 4710 : refus du curé RICARD de Notre-Dame-des-Tables d'administrer à la dame de COEURDECHESNE, sous prétexte qu'elle a refusé de se soumettre à la constitution Unigenitus ; l'intendant signale au chancelier qu'elle "est ouvertement attachée au parti janséniste qui a encore beaucoup de sectateurs dans cette ville" ; le curé aurait assuré à cette dame que Mgr COLBERT et ses adhérents sont damnés (1751) ; refus des sacrements à la demoiselle VANEAU de la paroisse Notre-Dame, soeur de celle qui fut l'objet de semblable mesure (1753 ?) ; refus des sacrements à Louise FABRE par le curé de Sainte-Anne de Montpellier. Le roi désire que l'intendant examine avec l'évêque quel est le diocèse de la province où on pourrait diriger cette fille, et où seraient évitées de pareilles difficultés (1755-1759) ; avertissement donné à M. de BEAUPRÉ, prêtre, DEYDIÉ et CRASSOUX, conseillers à la cour des Aides, d'avoir à se calmer, le roi désirant la paix et le silence ; affaire GUILLEMINET, de la paroisse Saint-Denis de Montpellier ; refus des sacrements par le curé de Sainte-Anne à LAGARDE, doyen du présidial de Montpellier ; idem à une religieuse de la Visitation de la même ville ; les "gens du parti" ont prétendu faire intervenir le juge mage et le procureur du roi qui ont montré de la prudence (1757) ; peine infligée par l'évêque de Montpellier au curé de Sainte-Anne, à l'occasion de la communion demandée par le sieur ARNOUX et du scandale qui a suivi (1767). A consulter.

(à compléter)

- Arrêt de la Grand'chambre du Parlement de Toulouse, le 30.03.1756 : 1 B 1614 (aux AD 31)

- Pour comprendre les origines et le pourquoi du jansénisme, il faut lire le livre de l'abbé Carlos SPEYBROECK , "Beauvais Janséniste 1640-1767", paru en 1979 (imprimerie centrale administrative, à Beauvais). Le début de la première partie nous fait toucher du doigt les fondements de la pensée qui ont mené au jansénisme : "Dès les premières années du christianisme les théologiens se sont penchés sur le problème des relations entre la grâce divine et la liberté humaine. Si l'on accorde un peu plus à la toute-puissance de la grâce de Dieu en la présentant comme une "grâce victorieuse", on aboutit à la négation de la liberté humaine et à une prédestination gratuite, signifiant que quels que soient les efforts et les vertus de l'homme, il est d'avance désigné pour le salut ou pour la damnation eternelle.
Si par ailleurs on accorde un peu plus à la liberté humaine en la déclarant absolue, on nie l'action de Dieu et le salut devient alors une conquête personnelle et non pas un don gratuit de Dieu qui prédestine les hommes au salut éternel par un décret absolu de sa toute-puissance et qui n'a d'autre raison que cette toute-puissance elle-même, tout en s'accordant parfaitement avec sa justice et sa bonté d'une manière qui nous demeure mystérieuse."


Depuis le début du christianisme on a compté de nombreux théologiens qui ont discuté de la manière dont il fallait aborder ou expliquer ce délicat problème des relations mystérieuses entre la grâce et la liberté. Parmi les plus célèbres de ces hommes il faut citer Saint-Augustin. Il soutint un long combat de vingt ans contre Pélage et ses adeptes qui exaltaient la liberté humaine au détriment de la grâce de Dieu. Saint Thomas refait les thèses Augustiniennes (...) en présentant que le concours de Dieu est nécessaire à chaque action de l'homme. Au XIVe et XVe siècle, les scolastiques furent assez réticents à l'interprétation augustinienne, qu'ils trouvèrent trop pessimiste à l'égard des possibilités de l'homme. Mais c'est seulement à la réforme que se produit le grand choc lorsque CALVIN opposa ses idées sur la justification à celles de LUTHER. Les deux réformateurs se réclamèrent tous deux des textes de Saint-Augustin. (...)"

"Déjà la fin du XVIe siècle fut marquée par quelques incidents autour du problème de la grâce. L'Université de Louvain fut témoin de longues controverses avec BAIUS (...) Il fut accusé de nier toute réalité au libre-arbitre et de favoriser le Calvinisme (...) Jusqu'ici il n'était question que de controverses et de thèses au sujet de la concorde entre la grâce et le libre-arbitre. Un événement inattendu devait donner une autre tournure à cette histoire de la grâce. Le point de départ est l'amitié de deux étudiants de Louvain : JANSÉNIUS qui devint plus tard évêque d'Ypres (Belgique) et Jean DUVERGIER de HAURANNE qui fut plus tard abbé de Saint-Cyran. (...) C'est aux environs de Bayonne que pendant cinq ans ils se livrèrent à un travail acharné pour retrouver à l'origine la doctrine perdue, ressaisir la vraie science intérieure des sacrements et de la pénitence (...) C'est seulement deux ans après sa mort
(de JANSENIUS) que fut publié son livre Augustinus ou Doctrine de Saint-Augustin sur la santé, la maladie et la médecine de l'âme (Louvain 1640. Paris 1641. Rouen 1652). (...) Ce livre est comme la charte de ceux qu'on nommera plus tard Jansénistes (...) le Pape Urbain VIII le condamna (le livre de JANSENIUS) le 6 mars 1642 comme renouvelant les propositions de BAIUS."

"Une véritable crise Janséniste se déclencha en 1643 avec la publication du traité de La Fréquente Communion d'Antoine ARNAULD. (...) Le duc de LIANCOURT s'était vu refuser les sacrements parce que sa petite fille Mademoiselle de la ROCHEGUYON était pensionnaire à l'Abbaye de Port-Royal. ARNAULD rugit alors comme un lion et prit la défense du duc de LIANCOURT. C'est à ce moment-là que PASCAL entra dans le circuit lorsqu'il apprit la condamnation d'ARNAULD et son exclusion de la Sorbonne. (...) C'est alors que l'Assemblée du Clergé proposa la signature d'un Formulaire qui condamna l'Augustinus. Ce texte signifia la ruine de Port-Royal et du Jansénisme. En voici les termes : Je me soumets sincèrement à la Constitution du Pape Innocent X du 31 mai 1653, selon son véritable sens qui a été déterminé par la Constitution de Notre Saint-Père le Pape Alexandre VII du 16 octobre 1656. Je reconnais que je suis obligé en conscience d'obéir à ces constitutions et je condamne de coeur et de bouche la doctrine des cinq propositions de Cornelius JANSENIUS en son livre appelé l'Augustinus que ces deux papes et les évêques ont condamnée, laquelle doctrine n'est point celle de Saint-Augustin que JANSENIUS a mal expliqué contre le vrai sens de ce docteur (Rédaction de 1661). (...) Ce Formulaire rédigé en 1655 connût bien des péripéties et on y apporta maintes modifications. La signature du Formulaire fut rendue obligatoire pour tous les clercs, religieux et religieuses du royaume. (...) On assiste alors pendant huit ans à ce qu'on appelle la persécution pour refus de signature du Formulaire. (...)

"Cet épisode de la persécution est une page révoltante de l'histoire du Jansénisme. C'est la fermeture des Petites Ecoles, le renvoi des pensionnaires et des novices (...) Les religieuses de Port-Royal sont malmenées et parfois brutalisées. L'archevêque de Paris, Mgr de PÉRÉFIXE n'hésite devant rien : privation des sacrements et même des tortures. (...) On finit par négocier la Paix de l'Eglise qui prescrivit un Formulaire avec accomodements. (...) L'on craignait le schisme. (...) Cette "Paix Clémentine" rendit la liberté, les sacrements et les bénéfices à ceux qui en avaient été privés. (...) 1710 devait marquer la destruction du monastère (de Port-Royal) (...) Bientôt Louis XIV devait se rendre compte que la destruction de Port-Royal n'avait servi à rien. Le Jansénisme releva la tête et trouva un ardent défenseur en la personne de l'Oratorien Pasquier QUESNEL (...)

Le Roi Louis XIV, las de voir l'Eglise de France déchirée par les divisions, demanda au Pape, une Constitution assez prononcée pour mettre fin aux débats. C'est sur cette demande (...) que fut dressée la fameuse Constitution Unigenitus. Le Pape Clément XI y condamnait le livre des Réflexions Morales
(de QUESNEL) et cent une propositions qui en sont extraites avec des qualifications diverses parmi lesquelles se trouve celle d'Hérésie (...) On se heurta à d'innombrables difficultés que les schismes avec les orthodoxes et les protestants avaient déjàs soulevés. Si les Appelants se sont révoltés contre la Bulle Unigénitus c'est qu'ils y voyaient une défaillance du pape dans le domaine de la foi où ils estimaient être des juges compétents et autorisés. Les théologiens n'y voyaient qu'un seul remède : le Concile général (...) Le 8 mars 1718 l'Inquisition condamna l'appel et le 27 août suivant le pape donna les lettres Pastoralis Officii publiées le 8 septembre, qui excommuniaient les appelants, mais l'affaire traîna jusqu'en 1728, date à laquelle le Cardinal de Noailles abandonna lui-même la lutte par son acceptation pure et simple de la Bulle.

L'évêque VINTIMILLE consomma la défaite du Jansénisme en obtenant une Déclaration Royale qui porte la date du 24 mars 1730 et qui rendaient vacants et impénétrables les bénéfices dont les titulaires n'auraient pas signé le Formulaire acceptant la Bulle Unigénitus. C'était la fin officielle du Jansénisme. Le mouvement connut cependant un soubresaut avec l'affaire du Diacre PÂRIS (+ 1727). Ce fervent Janséniste était mort en odeur de sainteté. Ses dernières paroles furent pour confirmer ses sentiments contre la Bulle Unigénitus. On l'enterra au cimetière de Saint-Médard où toutes sortes de phénomènes que l'on peut qualifier d'hystérie se seraient accompagnés de guérisons dites "miraculeuses". A la suite de ces manifestations et de ces guérisons subites sur le tombeau du diacre PÂRIS on alla partout en France en pélerinage sur les tombeaux des appelants morts en odeur de sainteté. A Paris on procéda à la fermeture du cimetière et on chassa les convulsionnaires du cimetière Saint-Médard. En province la conduite des évêques fut analogue. Mais tout cela ne fut qu'une sorte d'épilogue du second Jansénisme.

(...) Ce qui frappe le plus chez les Jansénistes, c'est leur individualisme. Agir en son âme et conscience est le leitmotif sousjacent à la morale rigoriste ambiante. Ce sont des objecteurs de conscience face aux absolutismes de toutes sortes dont ils étaient entourés. L'argument d'autorité ou de raison d'état n'avait qu'une valeur relative à leurs yeux. Les Jansénistes ne fleurteront avec le Gallicanisme parlementaire que parce qu'il est un effet d'affranchissement semblable au leur. (...)"



- Dictionnaire des Institutions de la France aux XVIIe et XVIIIe siècles par Marcel MARION, professeur au Collège de France, correspondant de l'Institut ; édition originale de 1923 ; réimpression le 16.01.1979, éditions A. et J. PICARD, 82, rue Bonaparte, à Paris. Article Remontrances, p. 480 : "Le droit de remontrance fut pour les cours souveraines une conséquence presque nécessaire de celui qui leur était reconnu de procéder à l'enregistrement des édits, déclarations, etc. Il suffit pour modifier profondément le caractère de la monarchie française qui, absolue en théorie et en apparence, fut souvent limitée, quelquefois même paralysée, par la difficulté de faire enregistrer dans ses cours des édits dont celles-ci ne voulaient point.

Sans prétendre leur enlever le droit de remontrance, la royauté voulut en restreindre l'exercice, assujétir les cours à enregistrer d'abord sauf à remontrer ensuite, à céder lorsque, après leurs remontrances, le roi persistait dans sa volonté. Telle fut la teneur de tous les édits par lesquels elle s'efforça d'abattre la résistance importune des Parlements, et parmi lesquels il faut citer par exemple l'édit de février 1641 qui leur ordonne de faire publier et enregistrer, sans aucune délibération, les édits et déclarations concernant le gouvernement et administration de l'Etat, sauf à représenter les difficultés, s'ils y en trouvent afin que nous y pourvoyions ainsi que nous le jugerons à propos : l'ordonnance de 1667, qui limite à un court délai le droit de remontrer, et veut que passé ce délai les ordonnances soient tenues pour enregistrées et publiées : les lettres patentes du 24 février 1673, qui exigent, avant tout, enregistrement pur et simple sans aucune modification, restriction ni autres clauses qui en puissent empêcher la pleine et entière exécution sauf remontrances, dans la huitaine, par les cours de notre bonne ville de Paris, ou dans les six semaines par nos autres cours des provinces ... après toutefois que l'arrêt d'enregistrement pur et simple aura été donné et à charge que si nous jugions lesdites remontrances mal fondées ne puissent nos cours ordonner aucunes nouvelles remontrances ... à peine d'interdiction.

A cette signification le Parlement essaya d'opposer une protestation que DAGUESSEAU appelle le dernier cri de la liberté mourante et dut céder. Plus tard vint l'édit de discipline de décembre 1770 qui, plus libéral, admet remontrances et représentations avant l'enregistrement, et défend seulement de rendre aucun arrêt, de prendre aucun arrêté tendant à empêcher, troubler et retarder l'exécution des édits enregistrés en présence du roi ou des porteurs de ses ordres. Mais, sauf sous Louis XIV, la royauté française ne fut jamais assez forte pour obtenir obéissance des cours à de tels ordres."

11 / Notes


- Les patronymes sont inscrits ici en lettres majuscules, alors que dans les textes d'origine (lettres des pays-Bas et remontrances), ils sont en lettres minuscules. Les autres formes de ces textes sont respectées (notamment, les lettres ou les mots en capitales)

(- 1) Jean-Emmanuel GUIGNARD, vicomte de SAINT-PRIEST, Intendant du Languedoc, à partir de 1751.

- (2) Louis PHÉLYPEAUX, comte de SAINT-FLORENTIN, Secrétaire d'Etat à la Maison du Roi Louis XV, de 1749 à 1775.

Le comte de SAINT-FLORENTIN
(marquis puis duc de la VALLIÈRE)

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