La Dame, l'Evêque, l'Abbé, le Parlement de Toulouse, le Maire de Montpellier, l'Intendant du Languedoc ... et le Roi !
(ou une histoire rocambolesque montre quel était le jeu des pouvoirs entre les puissants et où en était le jansénisme, à Montpellier, en 1755-1756)
Le jansénisme est un mouvement religieux puis politique, qui se développe aux XVIIème et XVIIIème siècles en réaction à certaines évolutions de l'Eglise catholique et à l'absolutisme royal (pour en savoir plus sur les origines et les développements de ce mouvement, se reporter aux références du point 9 où sont repris des extraits tirés, notamment, de la série C des Archives départementales de l'Hérault et d'un livre sur le jansénisme de l'abbé SPEYBROECK). L'histoire qui est développée ici se passe en 1755 et 1756, à Montpellier, c'est-à-dire dans une ville éloignée de Versailles et à une époque déjà tardive pour le jansénisme. Cependant, elle est très utile pour connaître les points de vue des puissants et des "petites gens", loin de Paris. C'est une sorte de photographie qui montre l'état de la pensée en cette moitié du XVIIIècle, une trentaine d'années avant la Révolution de 1789 qui verra une partie des idées jansénistes se concrétiser dans la Constitution civile du clergé.
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Premier portrait de Mgr de VILLENEUVE
Si on lit la "Vie de Mgr de VILLENEUVE, évêque de Viviers et de Montpellier" par le chanoine honoraire Ferdinand SAUREL, en 1889, on est impressionné par la vigueur que mit ce prélat à combattre le jansénisme. Un exemple est particulièrement mis en valeur, pages 42, 43 et 44. Nous reprenons cet extrait intégralement ici.
"En 1755, époque où le jansénisme tendait à disparaître de Montpellier, les novateurs cherchèrent à donner un peu de vie à leur petite église. Ils imaginèrent pour cela de préparer un scandale marquant, pour la quinzaine de Pâques, et choisirent, comme propre à leur en fournir l'occasion, une femme attaquée d'une maladie de poitrine qui pouvait traîner longtemps et leur laisser le loisir de faire du bruit. Cette femme était Mme de MOUSTELON, née de BONNIER. Sur les conseils qui lui furent donnés, elle fit demander à l'abbé GRANET, curé de Notre-Dame, paroisse sur laquelle elle avait son domicile, de lui porter la communion pascale (2 avril).
On savait au presbytaire les sentiments et les dispositions de cette personne et ceux de son mari, conseiller à la cour des Aides, relativement à la bulle ; on put facilement prévoir une prochaine tempête ; on ne voulut point y exposer les vicaires, qui le même jour remirent leurs pouvoirs à l'évêque. Quant au curé, il fit enlever les meubles de la cure et se présenta chez Mme de MOUSTELON, persuadé que, sa démarche n'aboutissant pas, il ne tarderait pas à être frappé. La malade, suivant la prévision du curé, se retrancha derrière le silence imposé, disait-elle, par le Roi et ne voulut point faire sa soumission. Les jansénistes ne parlaient que de saisies, d'amendes et de décrets. L'évêque voulant assumer sur lui seul les mesures de rigueur, conseilla à l'abbé GRANET de s'éloigner et de se réfugier dans le Comtat-Venaissin, sa patrie ; puis, il rendit une Ordonnance pour assurer le service de la paroisse (5 avril).
Descente du juge-mage au presbytère, ordonnance du sénéchal enjoignant aux prêtres de la ville et de la banlieue d'administrer les sacrements à la malade. Les huissiers se cachent, trouvant la commission odieuse. Les prêtres refusent. On les menace de la saisie de leur temporel. On se souvient enfin qu'il existe dans la ville un Evêque chargé de dispenser les choses saintes. On s'adresse à lui ; Villeneufve se rend chez la malade ; à sa sortie, une foule énorme, évaluée à 4,000 personnes, remplit les rues voisines de la maison. Le Prélat s'esquive par des chemins déserts, après avoir cherché à calmer l'effervescence populaire. Surviennent bientôt Arrêts sur Arrêts de la grand'chambre du parlement de Toulouse ; mais on ne trouve pas un seul prêtre qui veuille consentir à porter les sacrements à la malade.
On met enfin la main sur un prêtre longtemps interdit pour cause de folie et que le Prélat avait fait admettre à l'hôpital-général comme pensionnaire. On lui fait dire la messe dans la chapelle du Présidial et consacrer une petite hostie. Pendant qu'il est à l'hôtel, M. de MOUSTELON et le juge-mage, accompagnés de plusieurs huissiers, se rendent à Notre-Dame. Le peuple s'y précipite à leur suite, croyant qu'on va faire un mauvais parti à l'abbé POUJOL, et se dispose à le défendre ; mais ce n'est point à l'abbé POUJOL qu'on en veut ; on se contente d'enlever le dais, les flambeaux et autres objets du culte nécessaires pour la cérémonie sacrilège qu'on prépare.
Peu après, on voit sortir de la maison de justice un prêtre tenant dans ses mains, faute de ciboire, une bourse dans laquelle repose l'hostie qu'il vient de consacrer. Il marche sous le dais, dont les bâtons sont portés par trois huissiers et le concierge de la prison. Le juge-mage et trois autres magistrats ont des flambeaux à la main. Le corps des huissiers, les cavaliers de la maréchaussée et un détachement de soldats appartenant au régiment de Navarre forment un nombreux cortège. Les troupes de la garnison sous les armes bordent les rues par lesquelles le Saint-Sacrement doit passer. Toutes les avenues sont militairement gardées, tant on a peur d'un soulèvement de la population. le malheureux prêtre arrive enfin chez la dame de MOUSTELON, ne fait aucune des cérémonies marquées par le rituel, ne récite même pas la plus petite prière, donne la communion à la malade, et se retire.
Est-ce tout ? - Non. - Le Parlement de Toulouse n'est pas encore satisfait ; il condamne au feu un écrit ayant pour titre : Relation exacte des troubles arrivés à Montpellier à l'occasion de quelques refus de sacremens ; il ordonne le bannissement perpétuel du curé de Notre-Dame et du curé de Sainte-Anne, et déclare y avoir abus dans une Ordonnance de l'Évêque de Montpellier et dans la réponse qu'il fit à la signification d'un Arrêt de la cour.
Ces condamnations n'empêchèrent pas VILLENEUFVE de continuer à se montrer ferme, et deux fois encore les sacrements furent refusés dans la ville de Montpellier. Mais ce fut la fin, et presque tous les opposants firent leur soumission. Restaient les oratoriens."
Second portrait de Mgr de VILLENEUVE
Voici donc une première version de cette histoire, la version catholique officielle, en quelque sorte, mais quel est le point de vue de l'autre partie, celui des Jansénistes ? A-t-on des sources d'archives contradictoires ?
Or, justement, deux types de documents nous permettent d'en savoir plus sur ce qui s'est passé en 1755 et 1756, à Montpellier. C'est, d'une part, une série de lettres imprimées à La Haye, aux Pays-Bas (en 1755), "au sujet du refus des sacremens fait à Madame de MOUSTELON par le Curé de Notre Dame de la ville de Montpellier, et par M. de VILLENEUVE, Evêque de ladite Ville, et des moyens horribles dont on s'est servi pour pouvoir la priver du Saint Viatique" et, d'autre part, des "remontrances" du parlement de Toulouse au roi, "au sujet des ordres notifiés au Sieur EUZET par M. l'Intendant de Languedoc" (en 1756).
Il y a cinq lettres imprimées en 1755 à La Haye. La première, le 5 mai. La deuxième, le 9 mai. La troisième et la quatrième, le 19 mai. La cinquième, le 28 mai. Toutes sont anonymes, chacune étant "écrite de Montpellier par M. De **** à un de ses amis."
Premier feuillet de la lettre du 9 mai 1755
La lettre du 9 mai 1755
Comme on le voit dans ce premier feuillet, l'évêque part de chez lui à pied avec son aumonier, suivi de deux laquais, et il parcourt la ville après les vêpres, "tems ou le peuple est le plus désoeuvré" ; il passe par les rues les plus peuplées et il demande où est la maison de la malade (or, souligne l'auteur de la lettre, il la connaissait puisque M. MOUSTELON avait été son juge dans une affaire). Du coup, "le peuple se mit à le suivre" et on compte alors 3000 personnes quand il arrive devant la maison : "on y crioit, on y heurloit, et on faisoit mille imprécations contre la malade, sans qu'il donnât le moindre signe d'improbation".
Puis l'évêque rentre dans la maison, il fait sortir la famille de la chambre de la malade et, avec ses laquais, se met "à visiter dans tous les coins et recoins de la chambre, sous le lit, sous la banquette, derrière les chaises, derrière l'Ecran. Il ne laissa rien où il ne fouillat, les soubassemens étoient à la ruelle du lit appuyés à terre. Il y fit regarder pour voir s'y n'y auroit pas quelqu'un de caché. Une des fenêtres étoit fermée, il en fit tirer le rideau pour voir si personne ne s'étoit mis entre le chassis et le contrevent, il lui vint à l'esprit qu'on n'avoit pas visité sous le chevet du lit, les bras de ses laquais y furent employés, et la malade les sentit chercher jusque sous son lit de plume."
L'auteur de la lettre explique le pourquoi de cette étrange scène en disant que si les habitants de la maison avaient dit le moindre mot, les laquais de l'évêque auraient expliqué au peuple rassemblé qu'on avait troublé l'évêque dans ses fonctions spirituelles et qu'on l'avait insulté. on imagine alors le pire pour la maison et ses habitants. La suite de la scène est de la même eau. Il s'enferme avec la malade, place ses laquais en sentinelle devant la porte de la chambre et demande à la malade de se soumettre à la Bulle Unigenitus, ce qu'elle refuse.
"Nous l'avons tous reçue, dit-il, il faut bien qu'on s'y soumette, il faut bien que vous la receviés : recevés-là, et je vous ferai apporter les Sacremens : mais si vous persistez à ne pas vous déclarer pour elle, je vous l'ai dit, vous êtes en état de péché mortel : vous n'êtes pas Catholique, et vous serés damnée : la malade ne répondit à ce discours, qu'en disant, qu'elle se renfermoit dans le silence qui lui étoit prescrit par le Roi. Un procès verbal fut dressé, l'évêque sortit de la maison, retrouva la foule au dehors "qui l'accueillit avec ces hurlements, qui retentirent dans tous les environs" et monta dans une chaise à porteur sur les instances de M. de MOUSTELON "pour ne pas augmenter le tumulte".
La première lettre du 19 mai 1755
En parallèle à ces évènements, le procureur général du parlement de Toulouse ordonnait à l'évêque de pourvoir la paroisse Notre Dame de vicaires desservants. En effet, après la fuite du curé, l'évêque avait imaginé de nommer verbalement un prêtre pour les baptêmes, un autre pour les mariages et un troisième pour les enterrements et l'administration des sacrements aux malades. De plus, "on a vû ici pour la première fois, et tout le monde a été surpris du spectacle, des Moines faire les fonctions Curiales dans une grande Ville". Cependant, les notaires refusèrent de notifier l'arrêt, ce qui donna à l'évêque le temps de préparer sa réponse, à savoir que son organisation était suffisante pour les besoins de la population.
Le procureur général interjetta appel et, de son côté, la malade présenta au parlement une requête dans laquelle elle demanda qu'il lui fut permis de s'adresser de nouveau aux prêtres déjà nommés et, en cas de nouveau refus de leur part, de s'adresser à tout prêtre séculier ou régulier. Aussi, sur cette requête, le Parlement donna l'arrêt suivant, conformément aux conclusions du procureur général :
"Vû etc. La Cour a ordonné et ordonne que la Dame de MOUSTELON se retirera de nouveau par devant l'Evêque de Montpellier, et en cas d'absence, par devant les Vicaires Généraux pour les suppléer, et cependant sommer de faire cesser le scandale dans les vingt-quatre heures en lui faisant administrer les Sacrements dans ledit délai ... et en cas de refus dudit Evêque et des Vicaires Généraux déférer aux suppliques et sommations de laditte de MOUSTELON, notre ditte Cour a déclaré et déclare que ladite de MOUSTELON se trouve dans un de ces cas de necessité urgente dans lesquels les Canons authorisent tous les Prêtres indistinctement d'administrer les derniers Sacremens à un malade ; ce faisant a permis et permet à laditte de MOUSTELON de s'adresser à tout Prêtre séculier ou régulier résidant dans la Ville de Montpellier, y exerçant les Fonctions Sacerdotales de le requerir de lui administrer les Sacremens de Viatique et d'Extrême-Onction, auquel effet le Prêtre requis pourra se transporter dans l'Eglise de Notre-Dame pour y prendre le saint Ciboire, et les saintes Huiles ; enjoint notre dite Cour à tous Sacristains, Bedaux, Clers, ou autres personnes Ecclésiastiques ou Laïques détenteurs des clefs de la Sacristie, du Tabernacle ou des armoires ou sont les saintes Huiles, de les ouvrir audit Prêtre, et de lui fournir les ornemens convenables et autres choses nécessaires pour administrer les Sacremens à ladite MOUSTELON en la forme accoutumée, et avec la décence requise, à quoi faire ils seront contraints par toutes voyes et par corps ; et néanmoins dans le cas de refus desdits détenteurs, pourra ledit Prêtre s'adresser au Sacristain de telle Eglise qui sera indiquée par ladite MOUSTELON, pour obtenir le St. Ciboire, les Saintes Huiles, et tous les ornemens nécessaires à l'effet de ladite administration, etc. Prononcé à Toulouse le 21 Avril 1755."
Cette fois les notaires notifièrent l'arrêt car sinon ils auraient dû payer une amende de 500 livres en cas de refus. Finalement l'évêque répondit qu'il irait chez la malade. Effectivement, les 24 heures expirées, il y alla mais lui tint les mêmes propos que la première fois puis il sortit. "Il étoit venu sans bruit, il se rétira de même, faisant bien voir par-là qu'il pouvoit à son gré arrêter ou exciter les émotions populaires".
Avant cela, il avait convoqué son conseil et y avait appelé les supérieurs des maisons régulières pour leur demander avis. C'est alors que le père MATELIN, commandeur du couvent de la Mercy dit : "on ne peut communier la malade sans hostie, il n'y auroit qu'à les faire toutes consommer". Qui le croirait ! Ce moyen qui auroit dû saisir d'horreur toute l'assemblée, fut accueilli par l'Evêque, délibéré, ordonné ; les Vicaires-Généraux partent sur le champ, et vont en porter l'ordre dans les différentes Eglises, dans trois seulement on ne voulut point consentir à ce projet sacrilège ; encore les Desservans de l'une de ces trois Eglises y prirent-ils quelque part en s'absentant, et en emportant avec eux la clef du tabernacle. Le Curé de St. Pierre auroit certainement éloigné ce scandale de sa Paroisse, ainsi qu'il l'a protesté ; mais il n'étoit point à Montpellier : le nommé ROUËL, l'un de ses Vicaires, à qui l'un des Vicaires-Généraux, (l'Abbé de LA PRUNAREDE) en signifia l'ordre, ne voulut ni l'exécuter, ni même croire que cet ordre fut sérieux avant d'en avoir parlé à l'Evêque. Celui-ci le lui confirma (...) Il y avoit une si grande quantité d'hostie dans le Ciboire de l'Eglise des Capucins, que la consommation dura 9 minutes, et que le Pere DANIËL, se trouva mal après les avoir consommées. La même chose arriva au Vicaire de St. Pierre pour en avoir consommé au moins trois cens, ce qui a donné lieu aux Gens de la Religion de tenir des propos sur nos SS. Mystères que j'aurois horreur de vous rapporter (...)"
L'auteur de la lettre continue ainsi à donner force détails à cet épisode, d'abord dans la communauté de Sainte Ursule puis dans l'église des religieuses de Sainte Catherine. Cependant, ces évènements apparaissent si rocambolesque que l'on se demande s'il n'ont pas été inventés mais, d'un autre côté, les précisions données plaident en faveur d'une information particulièrement bien faite.
La seconde lettre du 19 mai 1755
"Nous en sommes restés à l'événement incroyable de la consommation des hosties. Quand toutes les mesures furent prises pour qu'il n'en resta pas une seule dans toutes les Eglises. L'Evêque et son Conseil se crurent en sureté (...)"
Cependant, le bruit courait que c'était de l'église de l'hospice que la malade pourrait être communiéee. Un des vicaires de l'évêque y alla. Il vit les desservants pendant une heure et demie mais sans s'apercevoir qu'il y avait dans cette maison "un autre Prêtre simple et droit. Sa simplicité même fut ce qui le lui cacha. C'était celui que Dieu avoit choisi pour faire cesser le scandale (...). On lui signifia l'Arrêt, et la commission que tant d'autres avoient refusé, il l'accepta avec joie."
Il y eut, en même temps, un autre évènement qui, selon l'auteur de la lettre, montre l'état de dégradation du clergé de Montpellier. Parmi ces prêtres, il y avait un dénommé POUJOL; Pour lui, "les Appellans sont pires à ses yeux que les Lutheriens, les Calvinistes, les Turcs (...). Vous avez vû que M. le Juge Mage étoit commis pour faire exécuter l'arrêt, la commission portoit qu'avant de recourir à d'autres Eglises, il iroit à celle de Notre-Dame, pour remplir les conditions que l'arrêt prescrivoit, ce Prêtre lui précéda (...). M. le Juge Mage y arrive, et sur le champ on fait courir le bruit dans les hâles que c'est à M. POUJOL qu'il en veut. A ce bruit le feu de la sédition s'allume, tous ceux qu'il a séduits accoururent à l'Eglise (...) Les uns viennent avec des pierres, les autres avec des couteaux, les autres avec des cendres, c'étoit pour en jetter dans les yeux de M. de Juge Mage, et de quiconque voudroit toucher à ce défenseur de la foi. Ils s'animoient, et ils crioient que M. POUJOL n'avoit rien à craindre, qu'ils étoient là pour le défendre, quand il devroit leur en couter la vie. Il y eut dans l'Eglise des hurlements, des juremens, et on la profana par mille blasphêmes contre Dieu, et par mille imprécations contre la malade (...)" Pour calmer la foule, il fallut remplir la place de soldats armés vis-à-vis de l'église et un prédicateur promit qu'on ne ferait rien à M. POUJOL. Cette émeute dans l'église dura trois heures ... "et si l'on demande ce que faisoit l'Evêque dans tout ce tems-là, il étoit tranquille chez lui. Apparemment sur le principe que ce n'étoit qu'un zèle Catholique (...)".
Le Juge Mage fit alors ses demandes pour obtenir les objets de culte nécessaires à la communion. Faute de ciboire et de clé des saintes huiles, il dût se contenter du dais et des ornements et encore il lui fallut menacer de faire brûler les effets du sacristain s'il refusait de les délivrer. Le dais et les autres ornements furent portés à la chapelle du Présidial par des huissiers, accompagnés des cavaliers de la maréchaussée.
Extrait de l'avant-dernier feuillet de la 2ème lettre du 19 mai 1755
La lettre du 28 mai 1755
Cette dernière lettre est une virulente critique d'un écrit intitulé :"Relation exacte des troubles arrivés à Montpellier à l'occasion de quelques refus de sacremens" et qui est effectivement rappelé dans le livre évoqué plus haut du chanoine SAUREL. L'auteur de la lettre ne fait pas dans la nuance : "Ce n'est qu'un tissu d'injures attroces, des calomnies insignes, des mensonges grossiers. Ce Libelle : Car il n'y a guère d'Ouvrages qui ait mieux mérité ce nom, est-il enfin que quoiqu'imprimé à Avignon, où l'on imprime tout sans beaucoup de peine, on n'a osé le marquer au Frontispice." Evidemment, la "Relation" donne une toute autre interprétation des évènements. S'il y a eu une émeute devant la maison de Madame de MOUSTELON, c'était le peuple catholique, 4000 personnes "qui fremissoient et qui disoient, vive Mgr, Mgr., n'abandonne pas l'Eglise". Sur ce qui s'est passé dans l'église Notre-Dame au sujet du sieur POUJOL, c'était parce que le peuple voulait le défendre, etc. Et voici ce qui est dit quant à la communion portée par l'abbé EUZET :
"Il dit que "l'Evêque informé du sacrilége qu'on alloit consommer" (il parle du viatique qu'on porte à Mad. de MOUSTELON :) "Se seroit fait porter, malgré sa goûte, sur le chemin pour prendre le corps de son divin Maître, des mains de ce malheureux Iscariote. C'est ainsi qu'il appelle Mr. EUZET, et qu'il raconte le projet dont je vous ai parlé en le déguisant comme il déguise tout : Et il nous dit la raison qui empêcha l'Evêque de l'exécuter. c'est "qu'il craignit d'y arriver trop tard ; et qu'il craignit de devenir la cause innocente du massacre des Jansenistes ;"
La lettre critique ensuite l'argument du "libelle" selon lequel les jansénistes avaient préparé un scandale pour la quinzaine de Paques. Il fallait pour cela que quelqu'un joue le malade, avale quantité de remèdes et s'affaiblisse au point que les médecins puissent attester que cette victime ne puisse sans risques se faire porter à l'église pour y recevoir les sacrements. En deux mots, la "Relation" fait comprendre que les Appelants avaient voulu ce refus de sacrements. Finalement, ce dont il les accuse, "c'est de n'avoir aucune liaison avec Rome. Mais en récompense d'en avoir beaucoup avec Paris". Au contraire, les Appelans affirment qu'ils sont catholiques, apostoliques et Romains
Quant au style du "libelle" et de sa critique, on peut s'en faire une idée en reprenant la phrase suivante : "Je ne vous dirai plus qu'un trait de cet Auteur qui termine enfin son libelle par une des plus insignes extravagances, c'est de comparer M. le Juge-Mage à Pilate, comme il avoit déja comparé Mr. EUZET à Judas, et de dire qu'en communiant Madame de MOUSTELON, on avoit imité l'appareil et les circonstances du Calvaire ; à quoi il ajoute hardiment, et sans crainte d'être démenti par tous ceux qui y étoient, que Madame de MOUSTELON avoit été communiée sans prieres et sans cérémonie."
La lettre se termine en indiquant que l'évêque a nié la consommation des hosties à son arrivée à Paris, ce que ne manque pas de critiquer l'auteur de la lettre, de la manière suivante : "Si le consommation des hosties n'eut été faite que dans une ou deux Eglises, et en présence d'un petit nombre de témoins, on pourroit peut-être réussir à les gagner, mais cette action s'est passée au vû et au sçû de toute une Ville ; le moyen d'anéantir ce témoignage ; tout le monde à la Vérité, n'a pas été présent à la consommation, mais tout le monde en a vu la marque certaine, les lampes éteintes dans les Eglises. Que ceux qui ont donné ce conseil, et celui qui l'a suivi essayent de faire taire quarante mille personnes, et ils verront l'inutilité de leurs efforts."
4 / La médiation du Maire de Montpellier
5 / L'Intendant aux ordres du Roi
L'Intendant demande des ordres à Versailles
(lettre du 05.12.1755)
Dans cette lettre du 05.12.1755, l'Intendant du Languedoc (SAINT-PRIEST) informe le secrétaire d'Etat à la Maison du Roi (SAINT-FLORENTIN) que les defenseurs du sieur EUZET "se proposent d'adresser en son nom une requeste a M. le Procureur general du Parlement de Toulouse pour demander que cette Cour le prenne sous sa protection". Il pense que le Parlement pourrait interdire aux administrateurs de l'hôpital de se dessaisir de cet ecclésiastique. Aussi, l'Intendant demande des ordres pour obliger l'abbé EUZET à se retirer dans un couvent de Gignac ou de Clermont (l'Hérault) et il souhaite que le Roi puisse lui prescrire la conduite à tenir "dans le cas où le Parlement répondroit favorablement à la requeste."
En fait, le dossier montre qu'il y avait eu une série de contacts entre l'Intendant et la Maison du Roi. L'Intendant avait reçu l'abbé EUZET pour lui signifier les intentions royales. Ainsi, le 3 décembre, SAINT-PRIEST décrivait à SAINT-FLORENTIN l'entrevue qu'il avait eu avec l'abbé EUZET. Ce dernier lui avait témoigné "que le diable le persécutoit et le maltraitoit". L'Intendant ajoutait que son témoignage ne lui laissait aucun doute "qu'il n'eut l'esprit frappé" et qu'il avait "un grain considérable de folie". L'abbé avait aussi exprimé "sa grande répugnance pour Gignac" mais avait ajouté "qu'il consentiroit de se retirer aux Dominicains de Clermont de Lodève". Il avait dû partir à la suite de cette entrevue mais dés le début janvier 1756, l'Intendant écrivait : "Il y a huit jours que le sieur EUZET est revenu à l'hôpital. Il y dit la messe hier et assista aux vepres l'apresdiné avec les pretres. Sa chambre est dans le quartier des incurables au second étage." Le 16.02.1756, l'Intendant indiquait à SAINT-FLORENTIN qu'il avait perquisitionné à l'hôpital et qu'il avait fait chercher l'abbé EUZET qui s'y trouvait. Il le vit une deuxième fois et lui renouvella les instructions royales en le menaçant de le contraindre, si nécessaire. L'abbé EUZET lui "demanda quelques jours pour se disposer à partir". L'Intendant lui donna quatre jours "au bout desquels il a disparu une seconde fois de l'hopital." Deux ans plus tard, le 07.04.1758, une lettre de SAINT-FLORENTIN à SAINT-PRIEST nous permet de savoir que l'abbé EUZET demeurait caché et qu'il n'avait donc toujours pas obéi aux ordres.
6 / Les remontrances du Parlement de Toulouse
La page de garde des "remontrances"
Le 23 février 1756, paraît un petit livre intitulé : "Remontrances du parlement de Toulouse au Roi, au sujet des ordres notifiés au sieur EUZET par M. l'Intendant de Languedoc". Dans ce document, les parlementaires rappelent au roi qu'en 1755, le Parlement de Toulouse lui avait signalé la conduite des évêques de Saint-Pons et de Montpellier, afin de les sanctionner. Un an plus tard, ils écrivent : "Telle étoit, Sire, l'attente de votre Parlement, lorsque le Sieur de SAINT-PRIEST (1), Commissaire départi dans cette Province, en exécution des ordres qu'il avoit reçus de M. le Comte de SAINT-FLORENTIN (2), enjoignit au Sieur EUZET, Pauvre de l'Hôpital Général de Montpellier, d'abandonner cet azile, et d'aller dans le Couvent des Cordeliers de Gignac, ou dans telle autre Maison Religieuse qui seroit agréée par Votre Majesté.
Le Sieur EUZET est ce Prêtre, Sire, qui, en administrant les Sacrements à la Dame de MOUSTELON après l'Arrêt du 21 Avril 1755 épargna à la Grand-Chambre la nécesité de Sévir directement contre le premier Moteur d'un refus scandaleux, schismatique et fondé uniquement sur la soumission de cette Dame à la Déclaration du 20 Octobre 1754.
L'innocence du Sieur EUZET, ses infirmités, son indigence, et les obstacles qu'une punition non méritée pouvoit apporter à l'exécution d'une Loi absolument nécessaire au repos de cette Province et de tout le Royaume, furent le sujet des représentations que le Premier Président de votre Parlement fit à M. le Chancelier et à M. le Comte de SAINT-FLORENTIN.
(...) Votre Majesté prévenue que le Sieur EUZET, par l'aliénation de son esprit, étoit un sujet de scandale dans la Ville de Montpellier, et que l'honneur de la Religion exigeoit qu'il en fût éloigné, persistoit à vouloir qu'il se retirât dans un Couvent à Gignac ou à Clermont de Lodève : mais en même tems, instruite de sa misére, Elle lui faisoit assurer que sa pension y seroit exactement payée.
(...) Et tandis que le Sieur de Saint-Priest recevoit à Montpellier les nouveaux ordres annoncés dans la Réponse de M. le Comte de SAINT-FLORENTIN, Nous apprenions à Toulouse que le Sieur EUZET s'imagine depuis long-tems être maltraité pendant la nuit par des ennemis invisibles, et que lorsqu'on lui parle sur cette matière, il la fuit volontiers : que cette infirmité qui ne nuit qu'à lui seul, le détermina à quitter une Cure dont il étoit pourvû, et à se retirer dans l'Hôpital Général de Montpellier où il fut reçu en 1750 : qu'il y vécut en repos jusqu'à l'affaire de la Dame de MOUSTELON : que sa maladie n'a reçu aucun accroissement des persécutions qu'il a essuyées depuis cette époque de la part de ses ennemis visibles : que la pureté de ses moeurs, la régularité de sa conduite, le bon sens qui règne dans ses discours, la charité qui anime ses actions, les services qu'il rend dans l'Hôpital, les secours spirituels qu'il donne aux Pauvres, sa capacité, sa candeur, sa modestie font autant de sujets d'édification ; et lui ont attiré l'amitié, l'estime et le respect de tous ceux qui en sont les Témoins.
Tel est ce Prêtre, Sire, qu'on a osé vous représenter comme un Sujet de scandale, et comme l'opprobe de la Religion. Si Votre Majesté révoquoit en doute les faits que nous venons de rapporter, d'après les éclaircissemens que nous avons reçus, nous la supplierions très-humblement de faire interroger les vingt-quatre Intendans, Recteurs et Sindics qui sont à la tête de l'Hôpital Général de Montpellier, les Prêtres qui desservent cette Maison, et que le Sieur EUZET soulage dans les fonctions de leur Ministére, les Incurables qu'il console par des lectures de piété et par des exhortations édifiantes, les Enfans qu'il instruit des premières vérités de la Religion, et dont les bouches ingénues ignorent l'art funeste de la dissimulation et du mensonge, huit cens personnes enfin qui résident dans cet Hôpital, à l'exception seulement de celles que la crainte ou des ménagemens mal-entendus pourroient porter à déguiser la vérité : Heureusement ces ames lâches et timides y sont en petit nombre.
Daignez, Sire, peser dans la balance de votre Justice les attestations que tous ces Témoins irréprochables sont prêts à donner en faveur du sieur EUZET, et l'accusation intentée sans preuves contre lui." A la suite, les parlementaires demandent au roi de se rendre compte des vrais motifs des accusateurs, en particulier de l'évêque qui "dès le commencement de 1755 enfraignit et fit enfraindre par ses inférieurs la Loi que vous veniez de donner à la fin de 1754. qui, pour engager la Dame de MOUSTELON à vous désobéir, lui soutint que le Roi ne pouvoit pas défendre de parler en matière de Religion ; que la Loi du Prince en fait de Religion n'oblige pas ; que si elle étoit en Angleterre, elle ne suivroit pas la Loi du Prince."
Les parlementaires rappellent alors dans leur argumentataire les faits et les ordres de Mgr de VILLENEUVE : le refus des sacrements, l'évasion du curé et des vicaires de l'église Notre-Dame-des-Tables, le refus d'appliquer les déclarations royales de 1686 et de 1754, la suppression de l'exposition du Saint Sacrement, la consommation de toutes les hosties, le dépôt chez lui des saintes huiles, son parcours à pied dans les rues les plus fréquentées de la ville, suivi par une foule contenue seulement par la troupe, bref un évêque qui "entreprit de donner des bornes (à la puissance royale) tandis qu'il n'en connoissoit point à la sienne".
Et les parlementaires ajoutent : "On a laissé le sieur EUZET tranquille jusqu'en 1755. C'est dans cette année que la persécution a commencé contre lui. C'est donc en 1755, qu'il faut chercher la cause de cette persécution. Ses infirmités n'étoient pas augmentées ; il a toujours été, et il est encore aujourd'hui dans le même état où il étoit en 1750 (...) Les intérêts de la Religion et les infirmités du sieur EUZET ne sont donc que des prétextes frivoles. Mais en 1755, le sieur EUZET administra les Sacremens à la Dame de MOUSTELON, contre les défenses du sieur Evêque de Montpellier qui lui étoient inconnues. Jusqu'alors ce pauvre Prêtre n'avoit été pour le Prélat qu'un objet de mépris : dans ce moment il devint un objet d'indignation et de fureur. un atôme oublié dans le fonds d'un Hôpital résister à son Evêque, rompre les mesures les mieux concertées, faire avorter des desseins importans dont on publioit déjà le succès comme infaillible, obéir aux Loix du Prince, exécuter les Arrêts du Parlement qui n'étoient eux-mêmes que l'exécution de ces Loix, et une exécution mitigée par la modération et la prudence, assurer la souveraineté de l'autorité Royale contre les entreprises d'un Evêque rebelle, rendre à une Ville considérable le calme et la paix qu'on en avoit bannis : Quel crime énorme ! c'est celui du sieur EUZET. Il ne donne point de scandale aujourd'hui : mais il en a donné, lorsqu'il a fait cesser celui que les contraventions à la Déclaration du 20 Octobre 1754, et le refus des Sacremens qui en fut la suite, avoient occasionné."
"Permettrez-vous, SIRE, qu'on se serve de votre Puissance absolue, pour punir une action qui, loin de mériter des châtimens, seroit digne de récompenses ? Permettrez-vous que le sieur Evêque de Montpellier, pour persécuter le sieur EUZET, abuse aujourd'hui de cette autorité si respectable qu'il a méprisée, lorsqu'elle l'auroit empêché de persécuter la Dame de MOUSTELON ? En réléguant le sieur EUZET dans une Maison Religieuse loin de Montpellier, VOTRE MAJESTÉ auroit la bonté de pourvoir à son indigence : mais qu'a-t'il fait pour être privé de la liberté que la nature donne à tous les hommes, et dont tous vos sujets jouissent ? Pourroit-il espérer de trouver dans un Cloître les secours que son état lui rend nécessaires ? Il les trouve dans l'azile où la providence l'a conduit : qu'a-t-il fait pour en être chassé ? La moindre peine annonceroit qu'il auroit encouru votre disgrace ; qu'a-t-il fait pour la mériter ? Depuis la Déclaration de 1754, aucun Ecclésiastique n'a été puni pour avoir exécuté les Arrêts de vos Parlemens : par quelle fatalité le sieur EUZET le seroit-il ?
C'est un de vos Sujets, SIRE ; c'est un Prêtre, il est pauvre et malade, sans autre appui que ses vertus, poursuivi par un Ennemi puissant et redoutable : que de Titres, pour qu'il ose prétendre à votre protection ! Votre Parlement pourroit-il craindre de ne pas réussir ou de vous déplaire, en portant jusqu'à vous les cris de l'innocent persécuté ?
Mais, SIRE, de plus grands objets animent votre zèle. Les coups dirigés en apparence contre le seul EUZET portent directement sur le droit de votre Couronne et le repos de vos Peuples.
La suite de la remontrance développe ce même argument. Les critiques contre ce prêtre sont, en fait, des critiques contre le roi. Accepter une sanction contre ce prêtre, c'est montrer que l'évêque l'emporte sur le roi : "dans le sein de vos Etats, au milieu de vos Sujets, s'élève une puissance rivale de la votre", disent les parlementaires. Finalement, l'objectif recherché dans cette affaire est de priver le souverain du droit de faire observer les lois de l'Eglise, de s'opposer au schisme, etc. C'est pourquoi le parlement de Toulouse s'est opposé aux ordres adressés à SAINT-PRIEST (1).
"A peine ces Ordres ont été connus à Montpellier, qu'un cri formé de mille cris a fait retentir dans cette ville : EUZET a déplû, puisqu'il est puni." On n'a eu garde de rapporter son exil à ses infirmités : Le sieur Evêque de Montpellier seroit bien fâché qu'on l'attribuât à cette cause. L'Autorité Royale conserveroit tous ses droits : La Puissance ecclésiastique n'étendroit pas les siens : EUZET, l'innocent EUZET n'en seroit pas moins-opprimé ; mais il le seroit à pure perte pour celui qui l'opprime. On l'a dit, SIRE ; qu'il nous (soit) permis de le répéter dans cette importante occasion : La Loi, les Arrêts qu'elle dicte, et celui qui les exécute, forment un tout indivisible qui ne peut subsister que par une protection égale à l'égard des parties qui le composent. Punir EUZET, ce seroit condamner l'Arrêt du vingt-un Avril 1755, que VOTRE MAJESTÉ n'a pas désapprouvé ; ce seroit anéantir tous les heureux effets que cet Arrêt a produits dans ce vaste Ressort, ôter à la Déclaration de 1754 toute son efficacité (...)"
La lettre se termine par un appel au roi pour que la "Grand'Chambre" du Parlement continue la procédure contre l'évêque de Saint-Pons et permette de "procéder suivant les formes prescrites par les Ordonnances sur les Faits concernant le sieur Evêque de Montpellier". Bref, les parlementaires ne demandaient pas seulement que l'abbé EUZET ne soit pas puni mais il fallait aussi punir l'évêque de Montpellier car, concluaient-ils : "Votre Clémence enhardit à de nouveaux délits : il est temps de laisser agir VOTRE Justice." (23.02.1756)
7 / L'arrêt du Parlement de Toulouse
8 / Qui était donc cet abbé EUZET ?
Le comte de SAINT-FLORENTIN
(marquis puis duc de la VALLIÈRE)