La lignée des EUZET du mas d'Euzet de Saint-Gély-du-Fesc (34).

La branche de Perpignan.
(T 64 suite 2)



"On a toujours besoin du passé quand le présent fait mal. Mais il y a un mauvais usage du passé, qui consiste à ne voir que, s'il est une dimension du présent, il ne saurait remplacer ce présent. C'est l'histoire-refuge, sur laquelle on se replie à titre de compensation consolatoire. C'est l'idée fausse, éventuellement nourrie par une conception mécanique de la théorie des cycles, que ce qui a déjà eu lieu reviendra, que le passé nous fournit en quelque sorte une image de l'avenir. Les choses sont moins simples. Le passé a certes à nous dire. Il nous donne des exemples et nous fournit des leçons. Mais il ne permet pas de prédire. Quand l'histoire se répète, c'est toujours sous d'autres guises. On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Or, l'histoire est le fleuve par excellence (Julien ROCHEDY). On peut recourir au passé, on ne peut pas y retourner. Il n'est jamais agréable de vivre dans un monde en transition et il est toujours difficile d'être contemporain de son présent. Mais il n'y a rien de pire que de ne pas prendre la mesure du moment historique que l'on vit." (Alain de BENOIST : extrait de l'éditorial de la revue "Eléments" d'octobre- décembre 2015, n° 157).

Histoire.

Les peintures d'Elie EUZET


Ce tableau se trouve au "Musée de la Création Franche", à Bègles (33130). Elie EUZET en avait fait don à M. Claude MASSÉ qui, lui-même, en a fait don à ce musée.










Ces quatre tableaux appartiennent à Mme Martine EUZET-VICKERY



Histoire.

Quand on se trouve face à des peintures, des tableaux, les questions qui viennent naturellement à l'esprit sont : "Qui était cet artiste ?" et "Quels sont les évènements de sa vie qui l'ont amené à réaliser ces oeuvres ?" Et puis encore, "Pourquoi un médecin a-t-il subitement pris les pinceaux et s'est mis à peindre et pourquoi ces motifs abstraits ?". Bien entendu, la nature humaine est trop complexe pour répondre même à une seule de ces questions mais nous pouvons, cependant, essayer de rappeler à grands traits, quelques éléments de la vie d'Elie EUZET qui ont dû le marquer profondément. La jeunesse, d'abord, avec la mort du père, à Verdun. Nous renvoyons le lecteur au fichier
"Beaulieu (suite 2)" où est reproduite la dernière lettre envoyée par Marie Jeanne, sa mère, à Antonin, son père, la lettre est du 6 septembre 1916 et Antonin a été tué à Verdun, le 7. Sa mort brutale à la guerre a laissé une veuve et trois orphelins et il est inutile de souligner tous les problèmes matériels et psychologiques entraînées par cette disparition. Là-aussi, nous renvoyons le lecteur à un autre fichier "Beaulieu (suite 1)" où il y a une photo de Marie Jeanne et de ses trois enfants orphelins, Elie, Marius et Armande. C'est vraiment une impression de grande tristesse qui ressort de ce cliché mais il a fallu vivre et c'est Elie et Marius que l'on voit dans une photo de classe, à Beaulieu, ci-dessous :


Marius est au premier rang, assis, le 6ème à partir de la gauche
Elie est au 3ème rang, debout, le 2ème à partir de la gauche

Puis, c'est Elie, à l'école libre Saint-Benoit d'Ardouane (scolarité 1923-1924)


Elie est assis au premier rang, le premier à partir de la droite


Dans les actions des hommes, on remarque souvent qu'il y a un facteur déclencheur qui semble expliquer le pourquoi des choses. Il faut, bien sûr, en tenir compte mais ce "facteur", dans le fond, permet seulement à ce qui était encore potentiel de se réaliser. Elie EUZET a été renversé par une moto en plein Perpignan et a dû être hospitalisé. C'est à partir de là qu'il s'est mis à peindre. Ainsi vont les hasards de la vie ! Pourtant, quand on regarde ces tableaux, ce n'est pas de la tristesse que l'on voit ou, si elle existe, elle est bien cachée. Non, c'est plutôt de la joie de vivre, un fort dynamisme, des couleurs vives qui, certainement, sont en rapport avec la luminosité du Roussillon, de la méditerranée et des Pyrénées proches. C'est aussi l'ordre et l'harmonie qui sont apparents, un ordre dans un monde en désordre, multiple et difficile à saisir mais, évidemment, comme pour toute peinture, chacun y voit ce qu'il veut, ce qu'il ressent. En tout cas, cette joie de vivre, ce dynamisme, cette volonté de profiter de la vie, d'aller de l'avant, c'est bien ce que l'on saisit dans les photos qui suivent, à la montagne ou à la pêche, écrivant un roman ou jouant du violon, une vie simple ... dans un monde complexe.

Tous les gens de sa génération ont pu sentir la fragilité du monde, avec la crise économique des années trente, la guerre et l'occupation. Inutile d'insister là-dessus et Elie, comme tout un chacun, a dû trouver ses marques dans la guerre puis dans la résistance. Une photo le montre avec un groupe de prisonniers (il est devant, le deuxième sur la gauche - voir Perpignan - l'année 1946). Auparavant, il avait pu échapper à la prison en expliquant, en allemand, qu'il était médecin. Toujours les voies du destin qui ballottent les hommes et, plus tard, qui expliquent, peut-être, toutes ces lignes, tous ces points et toutes ces couleurs qui s'entrecroisent dans ses tableaux. [Terminé d'écrire le 18 avril 2009, grâce aux souvenirs de sa fille Martine et aux documents lui appartenant. - modifié, en décembre 2014]




"D'en bas, il faut bien compter deux bonnes heures de marche pour atteindre le col dit de la Place d'Armes et une heure de plus pour les grandes baraques. Il s'agit d'une balade de tout repos, tout au plus un exercice d'entraînement que j'ai fait et refait des tas de fois. Le relief ne présente aucune difficulté ; il s'agit, en effet, d'une succession de collines qui s'étagent en pente douce. Et pourtant, au début, que de peines ne me suis-je pas donné pour trouver le véritable sentier. Celui qui est le fait de moutons est net, qu'il monte, qu'il descende ou tourne. Il n'en va pas de même avec les chèvres qui sont des fantaisistes et ne font que ce qui leur passe dans la tête. Elles vagabondent où bon leur semble en faisant des semblants de passages qui ne mènent nulle part. Vouloir les suivre c'est s'exposer à se perdre dans des fourrés sans horizon visible, aux prises avec des ronces géantes et les argelas ou genêts sauvages armés d'une multitude de piquants. La végétation est pauvre. Elle est constituée en majeure partie de chênes verts dont certains sont porteurs de liège, quelques micocouliers aux fruits noirs en forme de pilule, des plants de thym, de romarin, d'asperges. Plus haut, des bouleaux, des hêtres, des châtaigniers ; en automne et une partie de l'hiver, le houx qui nécessite un certain discernement ; une espèce est douce au toucher, une autre rêche et piquante. La faune est constituée de perdreaux, de lapins et de sangliers, plus quelques oiseaux migrateurs. J'ai souvent suivi cet itinéraire avec un égal plaisir, alors méme que je connais toutes les pierres du sentier, tous les raccourcis possibles, toutes les pentes faciles ou difficiles à monter ou à descendre. Ce n'est donc pas la beauté du paysage qui m'attire dans cette région, bien plutôt l'obligation qui m'en est faite d'y aller souvent et d'y aller seul. Et, chaque fois, j'éprouve l'étrange et obsédant sentiment d'être accompagné, guidé par une absence qui se tient près de moi. Et cela sans que je ressente la moindre crainte comme s'il s'agissait d'un phénomène mystérieux qu'il convient de prendre tel qu'il est." (texte d'Elie, transmis par sa fille Martine, le 30.01.2018)





Le roman d'Elie EUZET : "Les Arbres du Seigneur"

Madame Martine VICKERY, fille d'Elie EUZET, nous a adressé en janvier 2018 le roman écrit par son père. Nous en reprenons, ici, la présentation qu'elle en a faite le 21 janvier et dans laquelle elle nous livre qualques clés ; nous joignons ensuite quelques extraits du roman lui-même, ce qui permettra de se rendre compte de l'art de l'auteur pour camper des personnages et décrire des lieux.

Présentation par Mme Martine VICKERY :

J'ai une double chance : le roman de mon père et un cousin passionné d'histoire, féru de généalogie et d'une immense gentillesse devant lequel je m'incline.

À la retraite, violon et pinceaux mis de côté, Elie se lance un nouveau défi : l'écriture. Je livre aujourd'hui quelques extraits de son roman ; j'ai délibérément passé les dialogues sous silence pour limiter le nombre de mots ainsi que certains passages traitant de perversités sexuelles. Je suis, toutefois, restée parfaitement fidèle à son écriture.

Si l'on se penche sur le récit et les protagonistes, nous noterons des parallèles frappants avec sa propre histoire. Tout d'abord, Francis Régis Rouvière, né en mars à Beaulieu de parents modestes dont la mère se prénommait Marie Jeanne. Dans Les Amitiés Particulières, Roger Peyrefitte, élève d'Ardouane dans les années vingt, nomme l'un de ses personnages Lucien Rouvère. Elie a-t-il connu l'auteur ? ; a-t-il été témoin de relations amoureuses entre garçons ou, plus grave encore, de certains prêtres dissimulant en eux une attraction envers leurs élèves ?

Bien qu'éphémères, les souvenirs de son père campent le personnage d'Antonin Andréani, auquel il donne le même prénom et le même métier : maître carrier. Andréani ne ménage pas sa peine. La notion du travail constitue un leitmotiv dans la pensée de papa.

Il enviait le sort du pâtremayor sillonnant les sentiers à longueur d'année dont l'existence toute simple faite de contemplation et de véritable communion avec son bétail et la nature l'attirait à tel point que, dans sa jeunesse, Elie avait entretenu le souhait de devenir berger. Mais le destin en a voulu autrement. Son besoin effréné de partir marcher en montagne tous les dimanches témoigne de l'attrait que les sommets exerçaient sur lui.

Par contraste, sa dérision explose face aux aristocrates, aux noms éloquents et pleins d'ironie, qui dans leurs somptueuses demeures se délectent de champagne et de petits fours en évoquant avec une sollicitude affectée la misère des moins nantis qu'eux. Un ton tout aussi désapprobateur s'élève envers le milieu ecclésiastique pourvoyeur de jeunes hommes parfois non habités par la foi. Tout comme l'abbé Rouvière, un prêtre avait succombé au péché impardonnable de la chair à Perpignan. Elie s'était longuement et, à maintes reprises, entretenu avec lui. Il censure également les fanatiques prêts à tout pour atteindre la croix au sommet du Plateau du Golgotha dans le but d'obtenir miracles et indulgences.

Il ne choisit pas le prénom du docteur Peytavi au hasard car, comme lui, Elie fait ses études de médecine à Montpellier ainsi qu'Amédée Alicot. Les deux médecins naissent à Beaulieu. Etant urologue, la maladie prend une place prépondérante dans le récit. Les graves souvent synonymes de trépas ainsi que les petits maux soignés avec plantes et cataplasmes.

La grande guerre est évoquée avec une légèreté surprenante alors que ce pan de l'histoire le confronte à la mort de son père en 1916 et à son inconsolable veuve. Les souvenirs du jeune de dix ans étaient trop empreints de douleur et il se refusait à les faire remonter à la surface. J'avais, à quelques reprises, tenté de lui faire retracer le parcours de son enfance mais face à ses yeux embués de larmes, je finis par respecter son silence à ce sujet.

Toutefois, le tableau qu'il dresse de l'école libre de Valdaignes, toute proche de Prémian et donc d'Ardouane, ressemble fort à l'école Saint Benoît où Papa a fait sa scolarité. Les bâtiments sont adossés aux Monts de l'Espinouse, sa cour intérieure est magnifiquement arborée avec un jet d'eau en son centre. A l'image de Marly, l'école d'Ardouane se meurt, désertée, des plâtras et des débris de verre jonchent le sol des différentes pièces, les plafonds laissent voir le ciel, les ronces ont envahi le magnifique petit jardin de jadis. Tous ces personnages évoluent dans un village en crise par manque d'eau. Tout comme leur abbé, ils se sentent frappés par une fatalité qu'ils finissent par accepter. Traînant leurs pieds jusqu'au cimetière épargné par une implacable sécheresse, ils côtoient la mort devenue, aux yeux de la plupart des habitants, préférable à la vie. L'être incompris de tous finit par s'expatrier et, de retour dans son village en profond dépérissement, lui assure sa résurrection.

Pour conclure, je salue mon père, cet homme lumineux, passionné jusqu'à la déraison parfois, avec qui j'entretenais une relation fusionnelle, que j'ai tant aimé et qui m'a tellement appris.


Extraits du roman d'Elie EUZET :



Premier extrait :

"Francis Régis Rouvière est né à Beaulieu le 20 mars 1860 et c'est dans cette petite commune que ses parents se sont mariés. Son père, Léopold, ouvrier agricole, connaissait bien la culture de la vigne. Sa mère, Marie-Jeanne, s'occupait de la maison et effectuait des travaux saisonniers, comme la cueillette des raisins, le ramassage des sarments et, étant une cuisinière réputée, elle préparait les repas de galas. C'est lors de l'un de ces repas, qu'elle remarqua celui qui allait devenir son mari. Ce jour-là, elle portait un tailleur bleu-ciel ; un peigne espagnol maintenait en arrière ses cheveux abondants. Elle n'avait de regard que pour Léopold vêtu d'un costume bleu-marine, une chemise rouge et une cravate blanche à pois bleus. Ses cheveux, taillés de la veille, étaient bien peignés et ses moustaches lisses. Ce fut un coup de foudre réciproque. Trois mois plus tard, après de brèves et simples fiançailles, les voilà mariés ; un an après, ils eurent l'immense joie d'avoir un héritier qu'ils nommèrent Francis Régis, leur seul et unique enfant.

Doté d'une solide constitution, il est en avance sur son âge, de l'apparition des dents-de-lait, de la prononciation des premières paroles ou de ses premiers pas. Elève brillant, il retient avec facilité tout ce qu'il apprend. Il a une nette préférence pour les compositions françaises, l'histoire et la géographie. Très vite, Il versifie en alexandrins ; ses poèmes empreints de mysticisme relataient des visions de paysages lointains, fabuleux, de véritables paradis perdus. Il voyait dans ses rêveries des motifs abstraits, riches en couleurs, centrés autour de roues évoluant à une vitesse folle. Ces étranges visions constituaient un étrange carrousel susceptible d'intriguer un esprit d'enfant ; il les attendait sans crainte la nuit comme de vieux amis. De taille moyenne, c'était un beau garçon avec de grands yeux noirs aux longs cils soyeux.

A onze ans, il passe le Certificat d'Etudes et sort premier de son canton. Voyant qu'ils avaient affaire à un garçon d'une réelle intelligence et manifestement doué, l'instituteur et le curé entrèrent en compétition. L'instituteur voulait faire de Francis un futur maître de l'enseignement laïque, un des piliers de la République toujours menacée. Le curé Pasternik voyait en Francis un prêtre destiné à gravir à grands pas les échelons de la hiérarchie ecclésiastique. Quel insigne honneur pour le curé d'avoir, si Dieu le voulait, un évêque, voire un cardinal, qu'il aurait lui-même baptisé ! Le curé se procure l'argent nécessaire par des voies connues de Dieu seul, prenant ainsi l'instituteur de cours et met le marché entre les mains des parents. Sachant que leurs ressources étaient maigres, il leur explique qu'il était possible de faire entrer leur fils à l'école libre de Saint Benoît d'Hérépian, sans bourse délier. Cette école soi-disant libre, n'était qu'un petit séminaire qui n'osait pas dire son nom mais d'où sortait une bonne douzaine d'élus qui entraient au grand séminaire de Montpellier, de sorte que l'école libre était un centre pourvoyeur de curés pour l'épiscopat. Nombre de prêtres avaient suivi cette filière sans trop se poser de questions, tant le processus semblait facile et normal quand il y avait vocation ou soupçon de vocation. Il suffisait alors de se laisser guider par la main du Seigneur qui avait donné procuration au Père Pasternik. Ce dernier était un homme affable en apparence, qui avait l'art de vous envelopper dans ses propos souvent sibyllins. En réalité, c'était pour le Seigneur un vulgaire racoleur de basse classe. Il y avait fort à parier que le Seigneur en question ne devait pas considérer cette manœuvre avec beaucoup de complaisance.

Francis se sent pleinement heureux dans cette école construite en rase campagne, sur le flanc d'une montagne à laquelle elle tournait le dos et contre laquelle elle s'appuyait. Lorsqu'il pleuvait, l'eau s'écoulait en cascadant jusque dans la vallée. Cette vallée sert de passage à l'Orb qui prend sa source à Saint Pol pour se jeter dans la Méditerranée après une course de cent-cinquante kilomètres. Une ligne de chemin de fer suit la trace, la direction et la destination de la route. De l'autre côté de la vallée, de petites collines s'étagent jusqu'à l'horizon. Francis est un excellent élève, un sujet d'élite digne d'intérêt mais sa situation est en porte-à-faux car il se trouve dans l'antichambre du Grand Séminaire alors qu'il n'a pas la vocation. Il n'avait pas ressenti l'appel venant d'on ne sait où pour l'inciter à se consacrer au sacerdoce. Il réfléchissait souvent à cette question et se demandait à la messe, si cet appel que d'aucuns décrivent comme une véritablerévolution de la révélation ne serait pas, par hasard, passée inaperçue. Il faisait pourtant tout pour forcer le destin. Il était discipliné, avait une conduite exemplaire. Il communiait tous les matins et pourtant le Seigneur ne le remarquait pas. Le père Pasternik était irradié de bonheur. Voir évoluer cet élève lui donnait la certitude qu'un jour ou l'autre il tomberait dans le filet tendu. Il irait ensuite renforcer le bataillon des autres élus. Ce serait du pain béni car les vocations voyaient leur courbe amorcer une chute inquiétante.

Son baccalauréat en poche, Pasternik lui explique que deux voies s'ouvrent maintenant à lui. Suivre la voie des plaisirs de ce monde qui mène à la connaissance du péché et à la damnation éternelle ou faire partie de ceux choisis par Dieu qui constituent la cohorte véhéémente des soldats pacifiques du service divin et, à la fin des temps, il aurait une place de choix auprès du Seigneur. Il poursuit son plaidoyer en insistant sur le fait que ses études seraient totalement gratuites. Ceux qui avaient financé ses études jusqu'à présent seraient débarrassés d'un lourd fardeau. Connaissant l'ambition de Francis, il lui explique que les plus hautes charges de la Sainte Eglise lui sont promises. Francis ne sait que penser de ce prêchi-prêcha mais il comprend que la sollicitude de l'abbé est trop vive pour être désintéressée. L'adolescent lui explique que la carrière d'avocat aurait eu sa préférence. Fou de colère, Pasternik répond que les avocats sont prêts à faire pendre un innocent ou à faire gracier un abominable scélérat, que la noirceur de leur robe est à l'image de leur conscience. Francis rétorque que la soutane de Pasternik est de la même couleur. L'abbé lui explique que la couleur noire des soutanes représente la noirceur des péchés que tous les prêtres entendent dans le saint confessionnal. Ils aident ainsi la malheureuse humanité qui se sent soulagée et accomplissent leur tâche de façon désintéressée alors que l'avocat revêt sa robe pour de l'argent, du vil argent. La religion du Veau d'Or était basée sur ce vil argent, un argent impur à la base de toutes les impuretés dont notre corps mortel peut se rendre coupable. L'argent qui n'est pas divin est source de maléfices et entraîne la damnation éternelle dans les flammes de l'enfer. Dans le sacerdoce divin, Pasternik poursuit son monologue un peu trop appuyé, il éprouverait des satisfactions sublimes qu'aucune autre position sur terre ne saurait lui assurer. Il sortirait du Grand Séminaire muni d'une solide instruction dispensée par des maîtres éminents. Dans sa paroisse, grâce à ses connaissances sur de nombreuses questions, il bénéficierait d'une forte influence et d'une grande considération ; ses conseils seraient sollicités et écoutés. Il finit en lui conseillant de rendre visite au curé de sa paroisse et à ses parents pendant les grandes vacances.
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Deuxième extrait :

"Le Plateau a maintenant perdu sa vie ; la croix a disparu : la colline qui la supportait s'est affaissée. Par contre, la dépression du centre s'est étirée, s'est agrandie, s'est creusée. Pour l'ensemble du site, c'est le nivellement du sol à fleur de pierres où le sommeil semble s'être enseveli ; c'est le reposoir du silence où le rêve des jours anciens est devenu un lancinant cauchemar ; c'est l'oppression du vide obsédant dans tout ce qu'il peut avoir d'incertitude inassouvie.

La désolation qui règne sur le Plateau s'est étendue sur le village tout entier abandonné par le pasteur. La nef de l'église menace ruine, le toit laisse passer le vent, les statues sont toutes de guingois mais cela est secondaire. A l'image de l'abbé Rouvière, les habitants sont devenus victimes de l'indifférence dans la croyance, du refus de lutter pour vaincre le destin, de l'abandon de leurs volontés entre les mains d'une mort lente sans espoir de résurrection. La terre des morts, nourricière des grands arbres est devenue aussi celle des vivants à tel point que les morts ne sont pas tout-à-fait morts et les vivants côtoient les morts, s'imprégnant par avance de leur pérennité. Il s'agit là d'un curieux réconfort propre à faire envisager la mort sous un jour apaisant.

Qui pourrait supposer un instant que ce village, au bord de l'agonie, était il y a quelques années encore un des sites les plus beaux, les plus riants, les plus courus de la Haute Provence où commence la Chaîne des Alpilles. Terre jadis fertile et nourricière d'une population ardente, tranquille et heureuse de vivre. Que de fêtes dans l'allégresse enchantée ! Personne ne comprend la décrépitude dans laquelle a sombré le village. Et pourtant, les successions de joies saines sont incrustées dans la mémoire collective. Par exemple, la fête votive de Sainte Restitute attendue et célébrée par tous, croyants et incroyants pendant une semaine. Le clergé y venait nombreux, amené dans des calèches aux couleurs chatoyantes, tirées par des chevaux au poil luisant et parés de harnais multicolores. Le soir, sur la place de la mairie, tout autour du mât de Cocagne, les danses et les farandoles se succédaient jusqu'à une heure avancée de la nuit. La fête de Saint Pierre des Liens avait lieu le premier dimanche du mois d'août. Aux habitants sédentaires s'ajoutait de nombreux estivants et de pèlerins. Les farandoles partaient de la place pour sillonner les rues. Certes l'hiver était rude ; la neige tombait pesamment mais dans la chaude maison au toit pentu, les corps et les âmes se resserraient autour de la grande cheminée familiale où la broche tournait autour de sa chanson.

A partir de 1910, la situation démographique du village se dégrade ; ceux qui pouvaient descendre vers la plaine ne revenaient pas alors que les carrières étaient à leur plus haut niveau de production et les vignes pleines de vie. L'on compte de nombreux hommes, jeunes célibataires qui feraient de bons maris et les filles résidant non loin de leur petite patrie seraient prêtes à y revenir si le village reprenait vie. Les habitants ne se sentent pas responsables du mal qui s'appesantit sur leur village sur le plan matériel, moral et spirituel ; avant l'arrivée de l'abbé Rouvière, tout allait bien. Les localités voisines poursuivent, comme par le passé, leur vie coutumière avec des hauts et des bas mais cela ne va pas plus loin. Le train-train de tous les jours, les fêtes religieuses ou profanes, les travaux des champs avec la culture de la vigne, de l'olivier et de la lavande sont maintenus partout ailleurs. Maintenu aussi l'élevage des moutons. Par manque d'eau, les prairies ont disparu ; les carrières ne sont plus exploitées pour des raisons de rentabilité ; la vigne se meurt peu à peu. En bref, la vie économique de Marly est basée sur les ressources tirées des vignes qui subsistent, sur l'industrie des nouilles de Louis Blanc, sur la retraite des retraités, sur le café Justafré, la boulangerie Maurel, l'épicerie polyvalente d'Alexandre et le commerce des sœurs Béclair. Les naissances se font rares. Les vieux tiennent le coup et s'accrochent à cette terre qui les a vus naître. Malheur au village quand quelqu'un part car il ne reviendra probablement pas.

De plus, une sècheresse sans précèdent dans les annales de Marly frappe le village à tel point que les légumes, les arbres et les fleurs s'étiolent. L'eau du puits commun diminue tellement qu'il faut mettre souvent une rallonge à la corde pour la monter. Toutefois, la vasque du cimetière et sa source voient leur débit rester égal. Le dix aoùt, du côté du plateau, le ciel se couvre de lourds nuages noirs. Poussés par un vent chaud, sec et tourbillonnant, ils entraînent sur le village une zone d'ombre épaisse, inquiétante et étouffante. Pas une goutte d'eau ne tombe. Le passage de cet orage de chaleur est catastrophique pour Marly. La sécheresse va grandissant ; les vendanges sont compromises. Tous les habitants connaissent les méfaits de ce soleil qui s'abat comme une chape de plomb fondu, à l'origine d'insolations. Les maîtresses de maison ne sortent que pour des courses indispensables. A la chaleur et la sècheresse, s'ajoute une évaporation rapide. Nombreux trouvent refuge au cimetière en attendant que la chaleur tombe.
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Troisième extrait :

"Marly est devenu en quelques semaines une ruche bourdonnante, un chantier à ciel ouvert, une procession de fourmis animées courant toutes dans le même sens, pour aboutir au même but. Un jour, en plein midi, une machine énorme s'arrête sur la place de la Mairie. Elle a l'allure d'un char d'assaut. Elle traverse le village ; derrière, suit une voiture dans laquelle se trouvent Edmond, un banquier, un agent d'assurance et le maire. Les relations du Maire portent leurs fruits et les formalités administratives sont simplifiées ; les capitaux affluent, attirés par ce projet. Bientôt le barrage sera plein, la centrale fonctionnera et l'eau s'échappera vers la plaine où elle sera utilisée pour l'arrosage des terres assoiffées. Ainsi Marly qui ne recevait d'eau de nulle part va permettre à d'autres d'en bénéficier aussi. Marly va continuer à revivre, le Marly de son enfance, de ses débuts difficiles et décourageants à tel point qu'il a dû s'exiler ; il était revenu pour assurer la résurrection de son village. Il n'objectait nullement au culte des morts mais il ne convenait pas d'avoir son avenir derrière. L'augmentation de la population va amener à accroitre les dimensions du cimetière où poussent les Grands Arbres du Seigneur, ainsi qu'Edmond se plaît à les appeler. Ils tendent leurs cimes à l'espérance retrouvée de ses vivants à nouveau heureux d'exister. Leurs racines, telles des passerelles où des échos muets assurent un lien entre le bonheur des vivants et le repos des morts qui ne sont pas oubliés. L'élan est donné. Il entraînera dans son sillage toutes les bonnes volontés, toutes les énergies, tous les espoirs qui, grâce à l'un de ses fils, rattrapera son retard sur les autres villages et les dépassera même.

Edmond se marie avec Colette Coudeyre le 25 juin, dont le mari, ingénieur des Ponts et Chaussées est mort au champ d'honneur. Ce mariage n'est pas comme les autres ; la population entière du village, le Préfet du Var, l'Evêque ainsi qu'une délégation d'Américains arrivés dans de somptueuses voitures équipées d'un poste de télégraphie sans fil. Bien qu'il s'agisse d'un jour de semaine, les classes n'ont pas lieu, les travaux de la vigne sont arrêtés, ainsi que la fabrication des nouilles. Seul le café reste ouvert. L'abbé Saltini célèbre le mariage. N'ayant pas de parents, Colette est conduite à l'autel par le Préfet, évènement unique à Marly. L'évêque prononce un sermon de haute tenue et apporte aux époux et à l'assistance entière la bénédiction du Pape. L'église et le cortège sont mitraillés par une kyrielle de photographes des quatre coins de la France. Le repas de noces a lieu dans les salles de la Mairie et de l'école réunies. Il s'agit d'une véritable consécration officielle. La révolution industrielle qui a bouleversé l'esprit des habitants restera matérialisée par la grand rue qui s'appellera désormais Avenue Edmond Justafré.
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Les lignées issues de l'Hérault

Perpignan.

Perpignan (suite 1).